Revoir Mary Poppins m'a économisé trente ans de psychanalyse. Ce film a bercé mon enfance, j'ai dû le regarder mille fois, mais je n'avais jamais mesuré l'impact énorme qu'il avait eu sur la construction de ma personnalité.

Tout d'abord, si je déteste tant les banquiers et le système libéral qui achèvent de précipiter l'humanité vers son prochain anéantissement, c'est bien entendu à cause de ce film. Je ne dirai jamais assez combien j'ai pu aimer et combien je me suis surpris à adorer encore maintenant la très belle chanson "Feed the birds" (que je connaissais étant petit en version française : "Nourrir les ptits oiseaux") racontant l'histoire d'un homme tellement occupé de ses affaires capitalistes qu'il ne parvient même pas à prendre conscience de la misère qui l'entoure et dont il est en immense partie responsable. Certes, on ne peut pas retirer aux paroles leur fond de charité chrétienne bien pensante, puisque les saints et les apôtres de la Cathédrale Saint-Paul sourient dès que quelqu'un achète un petit sac de graines à la vieille dame, mais j'ai volontairement choisi d'ignorer ce regrettable travers très américain pour n'y voir, finalement, qu'une manière de lier les idéaux artistiques et sociaux (une merveilleuse création architecturale ne pouvant qu'approuver la lutte contre le despotisme sauvage et ravageur de l'économie de marché).

Ensuite, si je suis perdu pour les femmes, c'est bien entendu à cause de Julie Andrews qui incarne avec une grâce quasi-surnaturelle celle qui les surpasse toutes, pouvant innocemment et sans effet de manches entonner un duo de soprano avec son reflet, faire monter au plafond une table à thé et transformer la fumée en escalier. Curieuse impression, d'ailleurs, que fait ce film dont le personnage éponyme est presque insensible, dont seules les actions et les paroles ont force de loi et qui explique l'univers sans grandes tirades moralisatrices, simplement par la puissance de quelques paraboles simples, laissant les destinataires en tirer seuls les conclusions. Mary Poppins, Christ moderne ? On ne peut pas tomber amoureux du Christ et de ses Apôtres ; je ne peux donc pas tomber amoureux de Mary Poppins et de ses dignes disciples que sont toutes les femmes de l'univers. CQFD.

Enfin, si je m'intéresse tant aux études de genre, c'est bien entendu parce que ce film avait ouvert la voie. Loin des niaiseries que les réalisateurs des plus mauvaises stupidités servent aux enfants depuis des décennies, ne pouvant s'empêcher de faire tomber amoureux le petit garçon et la petite fille, lui la protégeant des méchants et elle le soutenant sans douter dans sa noble quête pour retrouver whatever, les deux jeunes héros de cette délicieuse comédie musicale sont tout compte fait assez asexués. Certes les couleurs qui les caractérisent sont entendues, certes le cheval de bois de Michael est figé dans une position de galop volant tandis que celui de Jane est au repos dans une position gracieuse, certes il est plus turbulent et elle est plus raisonnable, certes. Mais j'y vois plutôt l'influence de l'âge, Jane devant assumer le rôle sage de l'aînée tandis que Michael peut s'adonner aux plaisirs de la pitrerie que permet la situation de cadet (et j'en sais quelque chose, demandez à ma petite sœur). L'un n'est pas présenté plus intelligent que l'autre, plus viril, plus fort, l'autre n'est pas douce et sensible et pleine de tendresse envers les chiens et les enfants... elle va même jusqu'à ranger elle-même les soldats dans le coffre à jouets ! Amazing. Cette perversion sociale innommable est sans doute le fait de leur mère, suffragette dégénérée, féministe qui jette des œufs pourris au Premier Ministre et dont le rôle très secondaire donne tout son charme à cette famille de fous.

En conclusion, pour favoriser la bonne continuation du déterminisme social, je ne manquerai jamais une occasion de faire voir et revoir ce merveilleux film si formateur à mes enfants qui pourront ainsi apprendre les saines valeurs de... Oh, wait.
Anonymus
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le 8 oct. 2011

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Anonymus

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