Même s'il se déroule dans l'univers du Docteur Jekyll et Mr. Hyde, Mary Reilly n'est pas une adaptation directe du roman de Robert Louis Stevenson, mais d'un roman de Valerie Martin. Malgré cela, le film reste extrêmement fidèle au roman d'origine, jusque dans les moindres détails. Mais le récit est vu par un personnage inventé pour l'occasion, Mary Reilly, femme de chambre du Docteur Jekyll, interprétée par Julia Roberts.
Le double rôle de Jekyll et Hyde est ici confié à John Malkovich, qui est juste génial. Il fait de Jekyll un homme respectable, digne et droit, mais affaibli par un mal que l'on ne fait que deviner. On ne sait trop s'il est dégoûté d'abriter en lui cette part sombre dont il cherche à se débarrasser, ou s'il est fatigué de devoir refréner ses pulsions immorales. Un de ses propos est ambigu : il fait ses expériences pour « libérer » quelque chose, pour pouvoir agir sans se soucier des regrets inhérents à la « bonne morale ». Est-ce que, comme dans le roman et les autres films, il s'agit de libérer Jekyll de sa part sombre, ou est-ce qu'il s'agit de libérer Hyde ? Stephen Frears donne subtilement quelques pistes. La seule scène de transformation, à la fin du film, est pour le moins originale : au lieu d'un changement physique, on assiste littéralement à la naissance de Jekyll qui surgit du corps de Hyde, d'abord comme une tumeur, puis prenant petit à petit une forme humaine. On voit donc Jekyll surgir de Hyde, et uniquement parce que celui-ci en avait décidé ainsi, comme si la part sombre était dominante dans le double personnage.
En tout cas, plus que dans les autres films, c'est Hyde qui tient ici la vedette. Mais ici, aucun maquillage : l'apparence de Hyde n'a rien de monstrueux (comme dans le roman, où Hyde est un humain normal, qui dégage juste une impression de dégoût et de haine). Cheveux longs jusqu'aux épaules, entièrement de noir vêtu, il dégage un charisme certain, et c'est là que va se jouer toute la seconde moitié du film.


Car l'intérêt d'avoir inventé une femme de chambre ne se limite pas à servir de témoin aux aventures de Jekyll et Hyde. Un rapport très particulier va s'instaurer entre Jekyll, Hyde et Mary.
Pour le docteur, la jeune femme est un sujet de recherches dans lequel il peut prouver la justesse de ses théories. Par une série d'entretiens avec elle, il trouve une preuve de plus de la dualité de l'esprit humain à travers le récit de l'enfance de Mary. La femme de chambre, naïve, croit que le maître s'intéresse à elle, alors qu'il ne lui voue qu'un intérêt « scientifique ».
Par contre, Hyde est d'une autre nature. Libéré de toute contrainte morale, le double est un criminel, un assassin sadique et pervers qui va jouer avec Mary. Là, Stephen Frears s'aventure avec succès sur une route inédite pour lui, celle du film d'horreur. Sa description du Londres victorien est éclaboussée de sang, et le chemin de Hyde est parsemé de cadavres démembrés. Dès la scène d'ouverture, le thème de la mort brutale est affiché avec le sort peu enviable réservé à une anguille assommée, puis écorchée et découpée vivante.
Ce Londres sombre et sanguinolent est le domaine de Hyde. Lui qui se déplace difficilement la première fois qu'on l'aperçoit, le voilà qui avance à toute allure et avec agilité sur les trottoirs ensanglantés. La capitale victorienne est à l'image du personnage : un côté lumineux, comme Jekyll, et une face sombre comme Hyde.
Et Hyde veut jouer avec la femme de chambre. Un jeu cruel, vénéneux et très chargé d'intensité sexuelle. Et le pire, c'est que la jeune femme, pourtant consciente de la monstruosité de Hyde, est prête à succomber à ses avances. C'est là la grande originalité du film par rapport aux autres œuvres du même thème : le charme du crime. La beauté du Diable. L'attirance vers le mal. Cet aspect vénéneux est magnifiquement soutenu par le charisme de John Malkovich, parfaite personnification du serpent séduisant Eve...


Stephen Frears fait à son habitude, un film à la fois subtil et puissant. Mary Reily respecte le thème du roman de Stevenson : la dualité entre civilisation et bestialité. Dès sa première apparition, dans une courte scène pré-générique, Jekyll prévient : il na va pas mordre, comme pour signifier qu'il ne se tenait pas du côté de l'animalité. Mary, elle, se tient entre les deux. Elle arbore ses morsures de rats comme signe distinctif. Elle est la victime des animaux. Y compris Hyde.


Voir mon article sur LeMagDuCiné, consacré aux adaptations ciné du roman de Stevenson

SanFelice
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le 2 août 2019

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