Allen entame son film comme un mélodrame (voire comme une comédie romantique) ; un jeune homme, Chris, est tiraillé entre deux femmes, et à travers elles entre un cadre de vie – offert par sa fulgurante ascension sociale – et l'amour, une vie plus simple mais, peut-on penser, plus vraie. C'est donc peu dire que, jusqu'à ce stade, « Match point » dégage une forte odeur de déjà-vu, en restant toutefois un film très agréable – l'élégance constante de la mise en scène et des acteurs séduit (comme l'univers de la haute société séduit le protagoniste) ; mais elle s'avère finalement être à double tranchant. Woody Allen n'est pas naïf, et son héros ne fera pas le « bon choix » (on l'aura finalement « éduqué », comme l'avait prédit Nola, justement incarnée par Scarlett Johansson) ; il se pliera aux règles du jeu social, choisissant l'unique solution lui permettant de préserver son nouveau train de vie.

Dès lors, la noirceur extrême du final permet de porter un nouveau regard sur le film tout entier – lui conférant un cynisme effroyable, devant lequel toutes les envolées romantiques qui avaient jusque là jonché le fil de l'œuvre s'effondrent. Si la scène d'amour pluvieuse dans le champ pouvait toucher par sa dimension naïve (voire cliché) la première fois, elle bouleverse la seconde fois par le désenchantement qu'on anticipe – comme si Allen ne cherchait finalement à émouvoir qu'a posteriori, filmant toujours de manière distanciée au temps présent. Ainsi, Chris fait fougueusement l'amour à Nola dans la première partie du film, et l'abat froidement à son terme. Ce que le cinéaste pointe du doigt de façon si acerbe, ce n'est en définitive pas tant la haute société que l'ascenseur social permettant d'y accéder. On n'a pas pour autant l'impression qu'il décrit les étapes d'une (monstrueuse) métamorphose ; en fait, il s'agit plutôt d'un renversement brutal – celui-là même qui substitue la farce tragique au mélodrame. C'est l'efficacité effrayante d'un film que l'on voudrait beau, et qui se révèle terriblement amer.
Trelkovsky-
8
Écrit par

Créée

le 2 août 2013

Critique lue 545 fois

6 j'aime

Trelkovsky-

Écrit par

Critique lue 545 fois

6

D'autres avis sur Match Point

Match Point
Grard-Rocher
9

Critique de Match Point par Gérard Rocher La Fête de l'Art

Chris Wilton est un excellent joueur de tennis à tel point que, débarquant à Londres, il parvient à se faire remarquer par un riche club afin d'exercer la fonction de prof de tennis. Il a ainsi ...

64 j'aime

45

Match Point
Silencio
8

Critique de Match Point par Silencio

Cela commence d'une manière assez classique on va dire. Classique, c'est le terme qui colle le mieux au début du film : tout est lisse, propre, riche et poli. Pourtant, sous sa tacite impassibilité,...

le 26 févr. 2011

41 j'aime

Match Point
Theloma
10

Le jeu de l’amour et du hasard

Dans la filmographie de Woody Allen, Match Point est un film à part. Boudé à sa sortie par la critique professionnelle, notamment anglaise (le film fut tourné à Londres), il s’avère être un des chefs...

le 7 avr. 2019

37 j'aime

14

Du même critique

Pornography
Trelkovsky-
10

Idées noires

Entre 1980 et 1982, le parcours des Cure s'est avéré être d'une cohérence totale : après avoir mis en place une pop introspective extrêmement fine avec Seventeen Seconds, le son curien semble...

le 30 déc. 2013

36 j'aime

4

Django Unchained
Trelkovsky-
5

À tout vouloir justifier ... (spoilers)

Depuis quelques films déjà, Tarantino a comme un besoin de légitimer la violence qu'il filme. Bien sûr, dans les grandiloquents « Kill Bill », l'histoire de vengeance n'était qu'un simple...

le 26 mai 2013

33 j'aime

7

Le Tableau
Trelkovsky-
3

Pour être comme tout le monde ...

Dès le début, le film affiche clairement son postulat : les pauvres gentils et les méchants riches. Dès le début, le réalisateur/moralisateur lance un propos très édifiant à son jeune spectateur :...

le 15 janv. 2012

28 j'aime

4