Medeas
6.3
Medeas

Film de Andrea Pallaoro (2018)

Avec son étrange affiche, son (très discutable) classement par Wikipédia dans la catégorie drame/érotique, son absence de synopsis et d'une quelconque critique, ce film m'intriguait au plus haut point. Faisant fi de sa - ô combien imméritée - basse moyenne, je me lançai à sa découverte.


Et voilà comment, par hasard, on se retrouve face à une petite perle totalement inattendue.


Dès le début, on est saisi par la beauté de l'image, et ce sentiment ne nous quittera pas, jusqu'à la toute fin. Dans une contrée aride, isolée, qu'on dirait sise dans l'Amérique profonde, nous découvrons une famille de fermiers vivant chichement. Elle, la ravissante maman sourde et muette, mélange physique d'une Indienne et d'une Espagnole, Lui, pater familias barbu bourru, à l'autorité bien assise, et leurs cinq enfants.


La scène liminaire installe toute la poésie visuelle de cette œuvre singulière : le chef opérateur fait montre de toute l'étendue de son talent dès les premières minutes, avec cet éclairage solaire qui nimbe chaque détail du paysage, chaque personnage d'un éclat doré du plus bel effet. L'absence quasi complète de paroles m'a immédiatement rappelé deux autres superbes films d'auteur, dont la grandeur se passait également de mots tant l'image transporte à elle seule : Ispytanie (en français, Le Souffle), niché dans les steppes kazakhes, mais aussi Le Meraviglie d'Alice Rohrwacher pour le dénuement et la sobriété de l'existence quotidienne de la famille.


Pourtant, sous ses dehors équilibrés, derrière l'image d'Epinal de la joyeuse tribu souriante, se cache un secret.


La maman entretient une relation adultère avec le joli pompiste du coin, avec lequel elle passe des après-midis torrides. Nul besoin d'expliquer où se perdent ses regards une fois rentrée dans son foyer : ils sont ceux d'une femme amoureuse, désormais distante du père de ses enfants.


Il y a du mystère dans ce film, dans sa mise en scène inventive qui dissémine de menus détails qui en disent long sur la compréhension progressive du mari, sur son désespoir croissant, avec cet œil qui le démange dès le début, comme s'il devait se forcer à l'ouvrir ou, au contraire, souhaitait se contraindre à l'aveuglement.


La caméra se place toujours au bon endroit pour laisser un espace d'interprétation, ne rien asséner, offrant ainsi une intéressante subtilité romanesque à l'intrigue. Le scénario ménage des ambiguïtés et des zones d'ombre qui m'ont parues extrêmement réussies et qui, malgré le silence assourdissant du film (moins de 5 lignes de dialogues et bande originale quasi absente), parviennent à happer le spectateur de bout en bout.


Son titre - Medeas - fait signe vers le tragique, évidemment. Et de tragique, il sera bien évidemment question, dans une scène finale d'anthologie, terrible, qui vous laissera bouche bée. Mais avant cela, laissez-vous porter par la beauté visuelle de ces plans qui, pour la plupart, sont de véritables tableaux : ombre chapeautée qui se découpe sur le ciel crépusculaire orange et bleu, vent qui fait onduler les rideaux, enfants cueillant des fleurs, nourrisson qui se trémousse dans son lit d'osier, mère qui étreint son fils dans un sourire doux...


C'est un film autour de l'amour de la mère et des désirs de la femme : ce tiraillement permanent entre le sentiment maternel inconditionnel, la mère madone intouchable, et son versant ténébreux, la femme qu'elle est restée, l'amoureuse qu'elle est, le frisson sensuel qu'elle recherche et trouve dans les bras d'un autre.


Il est une scène qui, à elle seule, est une raison suffisante de découvrir ce film. Cette traversée solaire de la prairie en fleurs, la robe neuve qu'elle porte pour marcher à lui, vers cet autre qui l'attend au pied d'un grand arbre et qu'elle va étreindre dans un moment de grâce absolue. J'ai rarement vu une scène rendant aussi bien la délicatesse et la tendresse des caresses amoureuses. Nul érotisme ici : seulement de l'amour, de l'attachement, des mains qui s'effleurent et des yeux qui se ferment sous la volupté de l'instant.


Parfois, le cinéma, c'est aussi ça : accepter de se perdre dans la contemplation d'images magnifiques, se laisser happer par l'esthétique des plans, en savourer la lenteur contemplative, la langueur romantique et ces minutes qui s'étirent sans qu'il ne se passe rien d'autre qu'une pensée en mouvement ou le doux écoulement de la beauté.


1h40 envoûtantes, émouvantes, maîtrisées de bout en bout, à la mise en scène irréprochable et un finish hallucinant qui m'a retournée... N'hésitez plus, courez et offrez à ce film ce qu'il mérite avant tout : votre attention et votre sensibilité, portées à leur paroxysme.

Créée

le 16 oct. 2016

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