Cette année-là, nous sommes en 1994. C’était il y a vingt-quatre ans, mais nous aurions pu tout aussi bien être en 1984 ou en 2004. Nul objet, nulle trace de l’époque vient s’ajouter au lumineux tableau que dresse Abdellatif Kechiche. A peine l’absence de téléphone portable ou d’ordinateur nous met-elle la puce à l’oreille, et encore.


1994, année chaotique sur le plan international. L’URSS s’est effondrée trois ans plus tôt à peine et les nouveaux Etats qui en découlent tentent progressivement de s’organiser. Le Rwanda est traumatisé par le génocide des Tutsi par les Hutu, qui coûtera la vie à 800 000 personnes. La Bosnie-Herzégovine est en pleine guerre civile, deux ans après son indépendance, tout comme l’Algérie et l’Afghanistan. En Afrique du Sud, les premières élections multiraciales mettent Nelson Mandela et l’ANC au pouvoir, quand l’ancien drapeau symbole de l’Apartheid est aboli. L’Autriche, la Finlande et la Suède approuvent tour à tour leur adhésion respective à l’Union Européenne par référendum, quand la Hongrie et la Pologne déposent leur candidature.


1994 encore. Disparition de Kurt Cobain, Richard Nixon, Jackie Kennedy ou encore Burt Lancaster. Le Brésil remporte sa quatrième Coupe du monde de football aux Etats-Unis alors que l’équipe de France n’est même pas parvenue à s’extirper de son groupe de qualification après une défaite rentrée dans les annales face à la Bulgarie. Sous la présidence de Clint Eastwood et Catherine Deneuve, le jury cannois décide d’attribuer la Palme d’or à un jeune trublion du cinéma américain nommé Quentin Tarantino pour sa fiction pulpeuse (hasard du calendrier kechichien?). En France, le passé vichyste de Mitterrand est mis au jour. Aux européennes du printemps, le PS se prend une veste (il connaîtra pire depuis) et Tapie cartonne. Au terme de six ans de travaux et un doublement du budget qui s’élèvera au final à 87.9 milliards de francs, les 50.5 kilomètres du Tunnel sous la Manche sont inaugurés. Sinon? Smoking/No Smoking du regretté Alain Resnais obtient le César du meilleur film, une bande de Nuls se met à danser la carioca sur la scène du Festival de Cannes, un dénommé Michel Houellebecq se révèle avec Extension du domaine de la lutte, son premier roman et Dakota Fanning, Saoirse Ronan ou encore… Justin Bieber voient le jour. Baby, baby, ouh.
Cette année-là, c’était l’année 1994.


Et pourtant, à la vision du film, n’aurions-nous pas pu être transportés directement en 1969… année érotique? D’autant plus que Mektoub: My Love, canto uno n’est autre que le film de la majorité, celui des dix-huit ans de carrière du réalisateur de la maudite et adulée Vie d’Adèle. Quoi de mieux qu’une perpétuation de ces sensuelles variations à travers un nouveau détour par Sète pour fêter cela?



Younger days



Amin, Ophélie, Tony, Céline, Charlotte… Ils avaient vingt ans en 1994, mais auraient très bien pu les avoir dix ans plus tôt ou tard. Tel un chant des sirènes, Mektoub: my love, canto uno est une ode littérale à cette jeunesse, éternelle, libre et fougueuse, à l’insatiable goût de vivre, de se déhancher au rythme de la musique et des ondes sensuelles, de goûter aux lèvres qui s’offrent à elles, de jouir de corps impatients et transpirants enivrés par l’alcool et la chaleur de l’été caniculaire des rives de la Méditerranée. De la jeunesse on dit pourtant qu’elle n’est pas éternelle, et cela est vrai, du moins s’agissant des corps qui flétrissent, des os qui se tassent, des articulations douloureuses, des muscles qui relâchent ou encore des rides qui se creusent, au pire lorsque les esprits se gâtent et qu’Alzheimer ou Parkinson font leur sinistre apparition. « Ô vieillesse ennemie » disait déjà Don Diègue dans Le Cid de Corneille en 1637, celle-là encore qui fait que l’on n’est plus autant désiré à cinquante qu’à vingt ans comme le dit mélancoliquement M. Perlman à son fils Elio dans l’une des scènes les plus poignantes de Call Me By Your Name. Jeunesse est nostalgie, son éternité n’est que leurre, détourné par le biais de discutables compromissions. « Jeunesse se passe, et rien n'y fait, septembre hélas est arrivé. » chantait ainsi tristement Véra alias Chiara Mastroianni dans Les bien-aimés de Christophe Honoré. Et pourtant, plus les années passent, plus jeunesse s’attarde… Si le fait de se sentir jeune dépend aussi de l’esprit, les contours de la jeunesse se redessinent au gré des évolutions sociétales. Selon l’anthropologue Anne-Marie Peatrik, « L'âge n'est en fait qu'une construction sociale fondée sur une interprétation particulière des données biologiques. Chaque société et chaque époque interprètent à leur façon les âges de la vie. ». La massification de l’accès aux études supérieures et l’allongement de leur durée participent ainsi à une stabilisation plus tardive des sphères de vie professionnelle et personnelle. Se marier est plus rare, divorcer plus fréquent, quand le premier enfant pointe plus tardivement le bout de son nez. En bref, être jeune en 2018 n’a pas la même signification qu’il y a cinquante ans en arrière.


Être jeune aujourd’hui reviendrait-il à être plus libre ? Vous avez quatre heures (ou une heure et cinq minutes précisément de plus que Mektoub). Mais je me contenterai ici de quatre lignes de comptoir pour le bien-être de mes fidèles lecteurs. Jeunes et plus libres en 2018 donc ? Indéniablement, oui. A partir de mai 1968, les normes auto-érigées comme telles par la société et les contraintes parentales se sont progressivement desserrées. Apportons toutefois des nuances, car la liberté de la jeunesse dépend également des contextes sociaux et culturels dans lesquels elle évolue, quand des « interdits » subsistent encore et que d’autres tentent pernicieusement de reprendre leur place à table. Partant de ces postulats, être jeune en 1994 et 2018 serait sensiblement différent, rebours de l’intemporalité kéchichienne. Mais au fond, que signifie donc “être jeune”? De même, est-il légitime de parler uniformément de “générations” ou de “jeunesse” au singulier? Mais là n’est pas l’essentiel de Mektoub.



Liberté, j’écris ton nom



L’essentiel ne réside pas non plus tant dans l’histoire (puisque de scénario il n’y a pas vraiment) que dans les êtres, au coeur de ce film lumineux, solaire, véritable, oeuvre à la fois naturaliste et artistique à l’entier service de ses personnages. Sur un air d’opéra, nous croisons ainsi un beau jeune homme, Amin, sudiste exilé à la capitale pour ses études (ça ne vous rappelle personnes, chers camarades homards?), enfourchant son vélo sur les routes du littoral héraultais, le visage et le corps baignés du magnifique soleil de l’été méditerranéen, puis s’arrêtant devant une maison où il voit le scooter de livraison de son cousin, Tony, davantage tombeur que restaurateur de son métier, garé devant une maison. Il s’arrête, le cherche, puis s’aventure à l’arrière, où son regard curieux et observateur s’arrête à la fenêtre d’une chambre, dans laquelle Ophélie - sa meilleure amie - et Tony, font l’amour. Sauvage. Animal. Total. Sans filtres. La vie d’Adèle, bis repetita? Détrompez-vous, il s’agira de la seule scène explicite du film. Le naturalisme prime ici sur l’esthétique, pourtant au coeur du regard artistique de Kechiche, son art de magnifier les corps, dans la beauté de leurs formes et de leurs imperfections. Certains y verraient un Mekteub (la formule n’est pas de mon inspiration) plus qu’un Mektoub, une bite à la place de la caméra. D’autres, comme moi, y voient une exaltation de la beauté des femmes et de la sensualité des êtres. Rares sont les réalisateurs à filmer aussi bien les fesses, nues ou habillées, se déhanchant au son de la musique orientale jaillissant dans un bar du centre-ville d’une ville portuaire ou s’amusant d’une battle sur les barres de pole-dance d’une boîte de nuit, sans voyeurisme ni outrance, et encore moins vulgarité. Et qu’il est rare de filmer avec autant de talent ces scènes nocturnes.


Non seulement mis en lumière, les corps le sont en valeur, comme expressions de la liberté de ceux qui les assument. Nul n’est ici enfermé dans un carcan (ou presque). Omniprésente, la famille n’est pour autant ni dévorante ni castratrice, se faisant complice amusée des aventures d’Amin, tombé amoureux de Céline, jeune touriste niçoise et aspirante danseuse qui fait tourner la tête des hommes et en bourrique le héros, futur ex étudiant en médecin et indéniablement artiste dans l’âme (tiens, tiens… bis), spectateur ambigu de ce microcosme. Est-il juste timide envers les filles? Serait-il davantage attiré par les garçons? Au fond, recherche t-il vraiment l’enivrance physique et ne préfèrerait-il pas celle de l’esprit? Et s’il préférait tout simplement être spectateur plutôt qu’acteur des aventures sentimentales et sexuelles du groupe, au contraire de son queutard de cousin Tony, amant d’Ophélie (dont le fiancé n’est que rarement présent et ne semble servir que de caution maritale à l’empressement du père, j’y reviendrais) passant d’une fille à l’autre sans respect ni ménagement, jouant avec les sentiments de l’une et les nerfs de l’autre. Ainsi Tony voit-il son comportement réprouvé par l’entourage pour irrespect, et non condamné du fait d’un archaïque motif d’immoralité. Pour le coup, au mépris de l’origine, du sexe et du genre, “chacun fait fait fait, ce qui lui plaît plaît plaît”. On exulte de la liberté exaltée. Chez Kechiche, les femmes ne sont ni putes ni soumises, sont libres d’assumer leur corps, de jouer et de jouir comme elles le souhaitent, parce que c’est leur plus strict droit de femmes. Le sexe fort, c’est elles, et non le cousin, son père parti à Hammamet s’occuper de sa boîte (ou plutôt de son phallus - tel père tel fils vous dites?), celui d’Amin (existant et présent certes, mais absent de l’intrigue) ou encore les soulards du coin aux mains bien trop insistantes et baladeuses qui ne voleraient pas une paire de claques en réponse. Ici, les hommes sont relégués au second plan - à l’exception d’Amin, ce garçon entre l’à part et l’incernable - et les femmes tiennent les rênes: du restaurant, de la famille, de leur corps et de leur sexe. Au fond, la mère d’Amin ne voit-elle pas en Tony une sorte d’alter-ego, quand elle affirme qu”“il est comme [elle], il est libre”, elle qui de toujours a préféré sa liberté au mariage et en est fière?


Les clichés? Les préjugés? Très peu pour Kechiche. Quelle belle réponse que Mektoub: my love face au discours répugnant tenu par une partie croissante de la France sur les populations d’origine immigrée. Femmes/hommes, jeunes/vieux, arabes/blancs, plutôt que réduits à une identité malléable et discutable en soi, les personnages sont avant tout libres, de leur foie, de leur sexe et de leur cul, libres de de boire de l’alcool comme de baiser à droite et à gauche avant le mariage sans même être obligés de passer le cap. Dieu aux abonnés absents, larguez les voiles, cap sur la vie et ses plaisirs! Le brassage des cultures est une félicité, la fièvre du samedi soir une éternité qui s’empare des corps et des esprits dans la chaleur de l’été sétois. Quelque soit son origine, son histoire et son sexe, on est libre et fier de l’être, d’assumer et d’assouvir ses désirs. Fougue et folie n’ont plus d’âge. “On se perd, on s’espère, quelque part on s’égare” dirait Angun, mais “une jeunesse sans amour est un printemps sans fleur”. Chacun est ici un manège qui fait tourner les têtes, et plus particulièrement Ophélie. C’est ainsi après deux heures follement passionnées et tempétueuses que Kechiche nous révèlera son envers (que l’on découvre au sens propre dès les premières minutes du films), ainsi que celui d’Amin.



Les années Ophélie (ou la caméra d’Amin)



Du grec Opheleia, elle est “celle qui est utile”, “celle qui sauve”, “un remède”, notamment pour Amin auprès de qui elle se révèle amie fidèle et confidente de ses déboires et de sa perte. Elle est l’une de ces actrices que Kechiche a l’art de révéler à travers ses films et ses personnages, de Sara Forestier à Adèle Exarchopoulos, en passant par Sabrina Ouazani, Hafsia Herzi ou Yahima Torres. Ophélie Bau n’incarne pas Ophélie: elle l’est. Elle est également de ces personnages dont la surface ne laisse pas de prime abord poindre la complexité qui en émane, encore moins l’intrinsèque fascination qu’ils vont exercer sur le spectateur et sur leur entourage. On dit des Ophélie qu’elles sont des passionnées, grandes amoureuses, indépendantes, optimistes et mélancoliques à la fois, épicuriennes, faisant leur la devise “carpe diem”, amantes fidèles et amies sûres. Ici, telle une Marianne ou une Liberté guidant le peuple, elle est la digne figure de l’univers libéré et fougueux dans lequel nous plonge Kechiche dans ce long poème naturaliste qu’est Mektoub: my love. Ophélie est un tourbillon qui nous saisit dès les premières images du film, dès cette scène où on la voit faire l’amour avec Tony sous le regard voyeur d’Amin. Elle s’empare dès lors de ce monde dans lequel tout le monde, femmes et hommes confondu.e.s, tourneront autour d’elles. Les hommes seront charmés et envoûtés par la belle jeune femme libre et libérée, fière de s’assumer en tant que telle et d’assumer ses désirs. Les femmes seront plus méfiantes vis à vis de celle qu’elles perçoivent comme une séductrice née emportant tout sur son passage, y compris les chasses (a priori) gardées d’autrui, “chaudasse” mais pas “cagole”, une fille trop libre et trop belle alors que son fiancé militaire est en mission à des milliers de kilomètres de là et ne rentre que rarement au pays. Face aux attaques et aux critiques de ses paires, seule l’esprit le plus libre la défendra, à savoir la mère d’Amin, qui rappelera l’existence du carcan familial, et plus particulièrement paternel, qui pèse sur elle et l’enjoint à un mariage rapide. Pour autant, isoler le danger revient à mieux l’éloigner en le faisant pas se sentir bienvenu. Vient alors l’heure de pénétrer l’intimité de l’un des deux personnages centraux de l’oeuvre. Alors que les jeunes de son âges passent leurs journées à la plage en cette saison estivale, Ophélie doit participer aux tâches quotidiennes de la ferme familiale, sous l’autorité d’un père qui ne semble pas cautionner d’une aînée qui aimerait faire sienne la maxime “Oisiveté en jeunesse, travail en vieillesse”. De fait, son extraction du milieu familial lui fait l’effet d’une bouffée d’air, vitale, d’une libération dont elle est à la fois actrice et victime, puisque son apparence et sa personnalité sont en partie réprouvées par une partie de la “communauté” en dépit du climat de liberté qui y règne, non pour des raisons de prétendue moralité, mais par crainte et jalousie. Au prisme d’Ophélie se dessinent les traits de caractère et les failles des personnages qui gravitent autour d’elle, puisqu’étant le centre de l’attention de ce petit monde, et notamment l’amie fidèle de notre discret héros en la personne d’Amin.


Fils unique exilé à Paris pour des études de médecine qu’il compte abandonner à la rentrée suivante, indéniablement brillant, beau garçon, on nous donne paradoxalement à voir là le personnage le plus difficilement cernable du film. On pense découvrir très vite son attirance pour l’ardente Céline, quand son cousin Tony jettera son dévolu sur la délicate et naïve Charlotte, mais nul premier pas ne sera fait d’un côté comme de l’autre. Lors d’une soirée où les deux amies sont invitées par les deux cousins dans un bar proche du restaurant familial, Amin assistera impuissant à un rapprochement au son de la musique orientale entre Céline et l’un de ses potes. Céline n’a t-elle pas d’attirance pour Amin? Est-elle dans l’attente d’un premier pas de sa part ou, au contraire, ne souhaite t-elle pas perdre de son précieux temps à attendre? A contrario, est-ce là seulement l’expression d’un manque d’audace et d’oser de la part d’Amin? Au fond, Amin est-il vraiment mû par une attirance manifeste pour Céline? Là où un torrent de sensualité et d’érotisme s’abat sur Mektoub, Amin est le seul personnage clairement asexué, non érotisé du film. Là où les autres sont dans l’exubérance, la transparence, lui préfère la discrétion et le silence, quitte à jouer l'ambiguïté. Le spectateur vient alors à se questionner sur les motivations du personnage, ses désirs, son orientation sexuelle. Mais notre jeune héros, cinéphile passionné de photo, est placé en position de voyeur dès la première scène du film, alors qu’il est en réalité spectateur de son environnement et de son monde, à défaut d’en être réellement (ou du moins complètement) acteur. Plutôt que de céder aux sensuelles sirènes de l’été torride, sans être isolé ou mis au ban de ce monde familier (mais dans lequel Amin ne semble pas ressentir une aisance totale, en confère la très réussie scène de la boîte de nuit) et de ces racines auxquelles il revient chaque été, il se fait témoin des interactions, observateur des situations, complice des furtives et dangereuses liaisons, yeux et oreilles attentives de ce microcosme ouvert, comme s’il figurait en quelque sorte l’alter ego du réalisateur (qu’il souhaite devenir) vingt-quatre années en arrière. Amin apparaît, au fond, à un cap de sa vie et de sa jeunesse: il est tel une chrysalide en train de devenir papillon, un brillant être un brin perdu en train de se révéler à lui-même et aux autres, de sortir progressivement de sa carapace pour mieux étinceler en son dehors, en témoigne allégoriquement la magnifique scène du vêlage d’une des brebis d’Ophélie qu’il attend des heures durant jusqu’à l’aube afin de pouvoir le capturer au prisme de l’objectif de son appareil photo.


Amin et Ophélie, deux personnes dont on ne peut soupçonner l’intensité et la fidélité de la relation lorsque le premier, venant de l’observer faire l’amour avec Tony, frappe à la porte de la seconde, surprise de cette incursion soudaine et soulagée de trouver Amin plutôt qu’un autre, sans pour autant le mettre dans le secret de la liaison… dont il vient d’être mis au courant malgré lui. La gêne d’Ophélie est palpable, les mots peinent à sortir le temps que les esprits se retrouvent, mais l’on ne discerne alors dans le rôle d’Amin que celui du cousin de l’amant d’Ophélie. Or, au fil de l’histoire, Kechiche va mettre en lumière la profondeur du rapport amical entre les deux personnages qui mettent en récit (malgré eux ou non) le poème cinématographique qu’est Mektoub. A défaut d’être de purs alter-ego, mais se trouvant à part (ou au-dessus?) du microcosme l’un et l’autre, ils sont ouverts l’un à l’autre et se dévoilent respectivement leurs êtres intérieurs. En dépit des différences de leurs personnalités, ils entretiennent un rapport de confiance et de confidence véritable, à la fois alliés et complices de leurs jeux respectifs. L’une est actrice, l’autre est spectateur en pleine mue, la magnifique et sensible scène finale - et de fait ouverture sur le canto due - est là pour nous le rappeler. Quand tous les regards se posent sur l’une, l’autre pose le sien sur son monde. Et si, au fond, Ophélie et Amin n’étaient pas si différents que cela?



Tata Camelia Forever



Plus qu’un film, Mektoub: my love, canto uno est un poème naturaliste et érotique de l’insouciance, une ode à la liberté, un chant lumineux et fougueux, une rare mise en beauté des êtres désinvoltes, le récit d’un été brûlant. Qu’il est ô combien difficile de pénétrer dans l’univers de Kechiche, je le conçois, mais à la vision de ces films, comment ne pas lire en filigrane cette adresse aux acteurs et aux spectateurs, adage bien connu des marocains: “soyez les bienvenus”. Et ce n’est pas Tata Camélia qui dirait le contraire. Comment oserais-je conclure cette critique sans une ode à cet être éminent, d’une superbe sans pareille, une gueule de cinéma dans tous les sens du terme, fantasque et délurée malgré elle, débarquant devant le bar sur la moto conduite par son futur mari et descendant de l’engin avec une incroyable et sauvage classe. Les interdits? Très peu pour elle. Elle dit haut et fort ce qu’elle pense et ce qu’elle est, et l’assume, mari ou pas (encore heureux), accoudée à un bar ou se déhanchant sur une barre de pole-dance en boîte. Oui, le cinéma de Kechiche est là pour nous le rappeler (à raison), Hafsia Herzi est une grande actrice. A l’instar d’Ophélie et de ses prédécesseures, elle ne joue pas: elle est. Tout comme elle était Rym onze ans auparavant, Tata Camélia, c’est elle. Libre, osée, fougueuse, franche, passionnée. Au fond, Tata Camélia, c’est le cinéma de Kechiche dans sa plus pure expression. Tata Camélia, elle n’est rien d’autre que le canto uno du splendide Mektoub: my love.

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le 22 juin 2018

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