La mélancolie, depuis Dürer, jusqu'aux romantiques et même 2011, avec le Melancholia de Lars Von Trier. Comment actualiser cette posture face au monde ? Ce constat atemporel -et vu de tous temps à travers la peinture ou la littérature- que nous ne sommes qu'un individu parmi tant d'autres au milieu d'un univers infiniment grand, infiniment petit. La mélancolie, c'est ce malaise face à la condition pascalienne de l'homme, l'«àquoibontisme» devant ce qui semble avoir lieu de toute manière, sans que nos actions n'engendrent quoi que ce soit. Le monde avançait avant nous et continuera après nous.

Alors comment renouveler ce topos littéraire ? Ou plutôt, comment ne pas le renouveler aujourd'hui, à une époque où l'avancée dans la recherche scientifique met en lumière un infini petit toujours plus infini et où les croyances les plus anciennes et les moins fondées prédisent la fin du monde ? Lars Von Trier, maître du malaise, réalise ici l'évidence et nous donne ce dont nous avions besoin : l'expression de notre mal-être, enfoui au fond de chacun.
Raconter la fin du monde moderne, du monde actuel, contre laquelle toute la science millénaire des hommes ne peut rien y faire. Melancholia, c'est l'histoire d'une planète qui va entrer en collision avec notre Terre, détruisant cette dernière intégralement et irrémédiablement. Dans cette fable aux confins du fantastique et pourtant si troublante de réalisme, le réalisateur danois convoque Kirsten Dunst et Charlotte Gainsbourg dans les rôles de soeurs que tout semble opposer.

Le film se compose ainsi en deux parties, chacune traitant la vie d'une des deux soeurs. La première s'intéresse au personnage qu'incarne Kirsten Dunst. Le profond mal-être de ce personnage s'avère rapidement contagieux alors que cette jeune femme sur le point de se marier n'arrive pas à apprécier la vie. Son comportement dégoûte et entretient une tension qui ne cesse de s'amplifier au long du film. Kirsten Dunst, au jeu incroyable, nous présente une allégorie même de l'ennui, l'ennui profond, viscéral, qui la ronge et dont l'attitude désinvolte et scandaleuse n'a d'autre fonction que d'exprimer un cri de l'âme, un malaise qui la dévore lentement, comme un cancer.
A l'inverse, Charlotte Gainsbourg met ici en scène un personnage plus calme, et même presque trop, qui essaie de faire des compromis, de calmer toute tension, mais qui très vite se laisse elle aussi submerger par son anxiété, autre maladie résolument moderne.

C'est donc le combat d'individus différents vers l'acceptation ou le rejet d'une mort commune, inévitable et en réalité délivatrice des maux qu'instaure la société contemporaine. Le film nous montre la fable extrême en tous points des cancers de la vie : l'adultère, l'ennui, l'anxiété, l'avarice, la vengeance ou encore la cruauté. Face à une vie futile, à des relations humaines détruites par l'individualisme de chacun, le monde n'a d'autre solution que de mourir.
Le caractère profondément romantique de cette vision est exploité à son paroxysme par Lars Von Trier. L'esthétique baroque du film apparaît à travers le cadre du château, gigantesque mais véritable prison de par la dimension de huis-clos de l'intrigue, la ritualisation de la mort, la destruction de la façade des personnages -et à ce titre, Kirsten Dunst apparaît comme le seul personnage "vrai"- et la scène finale qui marquera le cinéma à jamais par la tension formidable qui atteint son sommet et instaure un double sentiment de délivrance et d'effroi : la représentation même du sublime.
Il ne pouvait y avoir meilleur choix pour la bande sonore que Wagner, illustrant à merveille -c'est à croire que son oeuvre musicale fut écrite pour ce film- la puissance invincible et absolue de l'univers et le drame de la mort de toute une humanité illustrée par seulement trois personnages. Toutefois, ceux-ci -les deux soeurs et un enfant- se caractérisent par l'attitude d'une Kirsten Dunst dépressive qui voit en la mort une délivrance, et à l'opposé d'une Charlotte Gainsbourg qui, elle, veut vivre à tout prix. Cette binarité conduit à la tension de l'intrigue que subit le spectateur, et ce à la limite du supportable devant le spectacle d'un tel déchirement.

La photographie sublime du film est également un élément majeur de l'oeuvre en ce qu'elle met en place une perfection de l'image, des visages et des corps, des objets et des lumières, perfection qui se confronte à la rupture de la normalité, à la mort progressive et dans tous les sens du terme, au délitement des constructions artificielles.
Ainsi, l'excellent jeu des acteurs, la bande sonore magistrale et tonitruante, l'esthétique baroque et romantique, et la tension extrême du film font ressentir un profond malaise au spectateur qui se voit face à la fin de son monde, non-fictionnel, ce qui permet une confrontation à soi, une introspection quant à la condition humaine et son but. Au final, on ressort de la salle renversé, dégoûté par ce film qui nous a fait passer un moment si désagréable et pourtant si transporté par toute cette mécanique qui nous a fait voir ce à quoi pourrait véritablement ressembler le 21 décembre 2012.
koigatabriel
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le 6 avr. 2012

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