Un mariage tombe à l'eau, et Lars nous balance un chef d'oeuvre

Critique rédigée en décembre 2017


(Musique à écouter en fond)
First
Lars von Trier est un réalisateur difficile à ranger dans une catégorie cinématographique précise. Depuis son premier film Element of Crime (1984), il a plu, dérangé, intrigué, fasciné... grosso modo, un ovni. Sa seconde trilogie est pour moi la meilleure, Trilogie Coeur en or, constituée de Breaking the Waves (1996), véritable vague d'émotion d'une puissance rarement atteinte ; Les Idiots (1998), un pur délire Trierien, version complètement déjantée de Festen de Thomas Vinterberg sorti la même année ; enfin, survenu en 2000, Dancer in the Dark (2000), qui est le film qui m'a fait le plus travaillé et auquel j'ai repensé des semaines après l'avoir vu pour la première fois, une tragédie contemporaine qui, malgré de nombreux revisionnages, reste pour moi l'un des films les plus émouvants de notre siècle.
First sight
Melancholia, sorti en 2011 et présenté à Cannes en compétition pour la Palme d'or, est avec son précédent film Antichrist (2009) son film le plus polémique. Cependant, si Antichrist avait fait polémique pour les sujets qu'il traite,


le gore et le contenu sexuel de plusieurs passages,


Melancholia a presque être ignoré à cause du comportement de von Trier à Cannes, ce qui lui a valu de voir son film retiré de la sélection officielle. Quel dommage ! C'est en revanche un autre excellent film, signé Terrence Malick, qui remporte la Palme: The Tree of Life (2011), très semblable au film de von Trier à première vue, mais qui en fait, à ma vision, une version "inversée" de celui-ci.
L'histoire de Melancholia se déroule en deux parties bien distinctes, durant une période indéterminée, en Suède. La première partie présente Justine (Kirsten Dunst, Virgin Suicides, trilogie Spider-Man, Marie-Antoinette) et son fiancé Michael (Alexander Skarsgård, la série True Blood), s'apprêtant à se marier, et organisant une grande réception dans la maison de la grande soeur de Justine, Claire (Charlotte Gainsbourg, L'Effrontée, Antichrist, Prête-moi ta main), et du mari de cette dernière, John (Kiefer Sutherland, Dark City, la série 24h chrono).
Durant la soirée, Justine constate dans le ciel une étrange étoile qu'elle n'avait jamais remarquée auparavant, et est soudainement prise de panique. Tout ceci chamboule la préparation du mariage puisque l'entourage de la fiancée constate son comportement inhabituel.
La seconde partie est davantage axée sur la vision de Claire, que de Justine. Constatant que cette étoile, appelée Melancholia, s'approche petit à petit de la Terre, les deux soeurs songent à la fin du monde, tandis que John imagine un simple événement oubliable...
Fidèle à lui-même, le cinéma du danois fonde deux écoles, l'une réunissant ceux qui y aperçoivent une forme rare de génie, et l'autre regroupant les spectateurs scandalisés à la vue d'un tel spectacle, terrassés par l'ennui, ou ne trouvant pas l'intérêt de suivre un film aussi gai que des funérailles.
Pour ma part, il s'agit une fois de plus d'un spectacle fascinant, et sans doute l'un de ses films les plus aboutis!
On one hand
On était déjà habitué avec les précédents films de von Trier à assister à un métrage tourné caméra à l'épaule, sans musiques (ou presque), et dans lesquels les acteurs semblent improviser tant leur interprétation est juste. C'est le cas ici: les scènes ont, de ce que j'ai lu, été tournées sans répétitions et une seule musique est entendue, à plusieurs reprises dans le film (prélude de l'opéra Tristan und Isolde de Wagner). Tout comme Dancer in the Dark, avec son ouverture à couper le souffle malgré la sobriété des images, Melancholia a la structure d'un opéra tragique, découpé en plusieurs parties: l'ouverture et deux actes (ici, deux parties). Les images de l'ouverture, dès le début accrocheuses, sont une représentation très abstraite de


la fin du monde, point d'arrivée du film.


Très lente, cette scène semble aussi décourageante, parce qu'elle annonce dès les premières secondes ce qu'on doit attendre de la suite du film


(le film débute par la fin du monde et se termine par la fin du monde, créant ainsi une boucle liant le début et la fin).


Then
Quand on parle de l'ambiance du film, que peut-on dire d'elle? Elle est belle, sombre, déprimante. Tout ceci, en reflet de ce que nous ressentirons lorsque la destruction de l'humanité (la vraie) viendra. C'est en ça qu'il s'agit à la fois d'une oeuvre profondément réaliste, mais nous pouvons également nous interroger sur la science-fiction présente dans le film ; la théorie de la fin du monde est-elle réelle? Comment vivre avec l'idée de subitement disparaître, sans rien laisser? Et surtout, comment supporter le poids des maux qu'elle nous provoque, et à notre entourage?
Tant de questions me viennent à l'esprit à la vision de ce film, toujours d'une très grande justesse puisqu'il réussit à émouvoir et à nous faire ressentir de la compassion pour les personnages, sans être larmoyant comme Breaking the Waves.
Le choix de diviser le film en deux parties est un parti-pris très astucieux puisqu'il est favorable à montrer la fin du monde sous deux points de vus, marqués par deux parties consacrées aux deux héroïnes. Quelque chose qui m'a interpellé, selon ma réflexion, la planète Melancholia peut être considéré comme un personnage à part entière vu son importance dans l'histoire ; elle est l'allégorie de toute émotion ou élément susceptible au dérangement de la vie d'un individu: elle se rapproche de la Terre, telle l'intensité d'un sentiment moral, avant d'atteindre


le stade de la mort, la mélancolie étant la tristesse liée à la Mort.


On constate aussi qu'elle impacte le comportement des personnages, présentés inconstants comme dans une tragédie Racinienne, plus particulièrement sur celui de Justine, qui voit la planète progresser son parcours vers la Terre dès le jour de son mariage, et signe de sa perturbation, se voit dirigée par Melancholia en commettant des actes pourtant inaptes à sa nature,


par exemple celle-ci trompe son mari avec un autre homme le jour de son mariage, ou quitte la réception en plein milieu pour aller observer la planète. On peut aussi faire le rapprochement avec Claire, qui par moment méprise voire déteste sa soeur dans son comportement- sachant qu'elle est la première à changer moralement-, pour ensuite lui dire qu'elle l'aime ; son mari John, pourtant optimiste au départ qui finit par comprendre l'ampleur de la chose, finissant par se suicider, ce qui cause le début du désarroi de Claire.


L'état psychologique de Justine est ainsi très bien mis en valeur,


à fleur de peau liée à Melancholia.


C'est d'ailleurs peut-être pour ça que l'ami Lars a lui-même fait le c* à Cannes...


Finally
Enfin, passons rapidement sur le jeu des acteurs: à l'image de tous ses précédents films, l'interprétation des protagonistes est à la perfection ; on y retrouve pour la seconde fois Charlotte Gainsbourg après avoir pas mal subit dans Antichrist (2009) et avant d'arriver à l'apogée avec les deux volets Nymphomaniac (2013), Kirsten Dunst, Kiefer Shuterland, Brady Corbet, John Hurt... Tant de rôles secondaires aident également à prêter attention au film, si lent et si étrange qu'on peut parfois se surprendre en train de se frotter la pupille.
Ces nombreuses scènes dites "étranges" sont quelque peu cachées sous les nuages, et me donnent une sensation de cauchemar lorsque j'y pense, plus particulièrement par le biais de la musique signée Wagner présente tout au long du film, répétée du début à la fin: un cauchemar n'a pas le sens, tout peut changer, à tout moment, ou rester stable, et c'est exactement la structure de l'histoire.


In conclusion
Pour conclure, une oeuvre remarquable et inoubliable, qui marque par une immense claque visuelle, mêlant décors de jardins suédois et paysages spatiaux, costumes d'événements ravissants et quotidiens, le tout entre les mains du génie danois Cannois, mettant notre esprit à rude épreuve.



La mélancolie est un délire particulier sans fièvre ni fureur, joint le plus souvent à une tristesse insurmontable à un penchant décidé pour la solitude,
Ménuret de Chambaud


Créée

le 18 déc. 2020

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