Une question a taraudé mon esprit en regardant Memento. Je me suis demandé si ma chronique hostile d'Inception n'avait pas provoqué le courroux de Nolan, le nouveau Dieu des cinéphiles geeks. Devant ce film, dont la même scène se répète pendant presque deux heures, avec quelques variantes fournissant un fragment d'intrigue supplémentaire, j'ai en effet eu le sentiment de subir un supplice aussi effroyable que celui supporté par Prométhée, dont vous vous rappelez sans doute que, pour avoir offert aux Hommes le feu sacré de l'Olympe, il fut enchaîné à un rocher des montagnes du Caucase, avant d'être soumis à un tourment infernal et éternel. Cependant, ce n'est pas mon foie, mais mon cerveau que les images défilant à rebours sur l'écran ont déchiqueté.

Malheureusement, mon interrogation m'a maintenu dans un état de lucidité pénible. En sorte que les lobes de mon encéphale, se régénérant à la fin de chaque séquence, n'ont pas connu de repos. Comme j'aurais aimé trouver la paix qu'offre l'opium lors de cette séance qui m'a donné l'impression d'être précipité dans la Géhenne !

Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? Nolan nous prouve une fois de plus qu'il a fait sien cet adage shadok. Le parti pris scénaristique de Memento est de fait d'une complexité assez vaine. On m'objectera sans doute que la forme est ici métaphorique de l'amnésie antérograde de Leonard. Une remarque qui serait pertinente si le réalisateur anglais n'était pas coutumier des récits labyrinthiques. Que ce soit pour Le prestige ou Inception, il complique presque tous ses films. Leur sujet ne justifie pourtant pas une telle sophistication.

Peut-on alors dire que cette afféterie est pour Nolan une façon de farder le vide de son cinéma ? Je suis tenté de le croire. D'autant que, lorsqu'il se fait enfin ambitieux sur le fond (The dark knight), il n'a plus besoin d'abrutir le public par d'inutiles circonlocutions et sait être simple sur la forme. Comme le disait Boileau dans L'art poétique :

Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement,
Et les mots pour le dire arrivent aisément...

Reconnaissons toutefois que cette manière est assez habile. Car elle confère à Nolan une posture flatteuse. Non seulement elle induit chez les spectateurs qui ne comprennent pas ce cinéaste (une majorité silencieuse, selon l'expression consacrée) le sentiment que leur intelligence est prise en défaut, mais encore –conséquence logique- elle donne à ce dernier une apparente supériorité intellectuelle, puisque, seul, il est capable d'exprimer, donc d'appréhender, des mystères que le commun des mortels n'est pas à même de pénétrer.

Tout cela est certes fallacieux, cependant le tour de passe-passe de Nolan est réussi. C'est le prestige de son numéro de magicien ! Et la plus belle opération alchimique depuis les tentatives de transmutations du plomb en or. L'opacité de sa supposée virtuosité narrative est la pierre philosophale qui transforme la vacuité de son inspiration en œuvre et lui permet d'être élevé par ses idolâtres au rang de démiurge. Un véritable opus magnum...

Il est également amusant de constater que, dans notre société de plus en plus athée, Nolan et ses films font l'objet d'un véritable culte. Au point que ses adorateurs étudient son message avec la ferveur de théologiens scripturaires commentant les Saintes Ecritures. Si ! Je vous assure ! J'ai fait l'effort de lire sur quelques blogs les interprétations possibles de Memento (comme quoi, je ne suis pas sectaire). Les hypothèses fumeuses émises par certains m'ont pas mal égayé...

Pour ma part, je ne me hasarderai pas à cet exercice. Car, je le confesse humblement, je me suis très vite désintéressé de ce galimatias. Leonard a-t-il tué sa femme ? Teddy est-il un menteur ? Nolan révolutionne-t-il la grammaire du cinéma, ainsi qu'il l'affirme modestement ? A vrai dire, je n'en sais rien. Je dirais même plus : cela m'est complètement indifférent. Quant à sa soi-disant réflexion sur la mémoire, l'identité, je préfère lire Proust ou Bergson, qui, eux, ne se regardent pas le nombril...

Mes propos ne doivent néanmoins pas laisser entendre que je suis absolument réfractaire à l'idée d'être bousculé intellectuellement. Je considère ainsi 2001, l'odyssée de l'espace comme l'un des films les plus fascinants de l'histoire du Septième art. L'œuvre de Lynch, bien que souvent absconse, me paraît tout aussi passionnante. Mais dans le premier cas, la complexité est au service d'une méditation métaphysique éblouissante, dans le second elle est la projection mentale de l'univers d'un auteur singulier. Dans Memento ou Inception, elle ne sert que l'ego d'un farceur très surestimé parce qu'il a la prétention de faire un cinéma de divertissement intelligent, alors qu'il ne nous livre que des thrillers sans grande originalité ou des films d'action insipides. The dark knight excepté. Ceci dit en toute bonne foi...
ChristopheL1
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le 12 mai 2012

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ChristopheL1

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