Je voulais aller voir L'odeur des Mandarines et, pour une raison qui m'échappe, je me suis retrouvé avec un billet pour Mémoires de Jeunesse. Comme je ne connaissais pas du tout le sujet du film, je me suis donc laissé guidé sans a priori aucun, vierge de tout jugement. Et quelle fût ma surprise de voir que finalement je ne m'éloignais pas de l'univers et de l'époque que je voulais voir au cinéma : la Grande Guerre, une histoire d'amour impossible. Seulement j'adoptais le point de vue britannique et non français sur les évènements.


J'étais plongé dans cette Angleterre bourgeoise du début du siècle, une jeune femme pleine d'ambition et brillante qui veut rejoindre l'université d'Oxford, son rêve, des beaux anglais fringuants dans leurs uniformes, une existence paisible et convenue, dans une campagne belle mais brumeuse.


Puis, la guerre éclate, les âmes se séparent, se déchirent. À l'optimisme de la première heure succède la terrible réalité d'une guerre meurtrière et longue. Notre jeune femme voit ses frères, ses amis, son fiancé, partir. Elle ne peut se figurer attendre là sans rien faire. Elle devient infirmière et s'engage. Elle se retrouve à soigner des soldats allemands, humiliation dans une époque exaltée par le patriotisme. Elle finit par retrouver son frère, très grièvement blessé. Son fiancé, lui, est mort au combat, le jour de leur mariage. Elle partageait avec lui l'amour des mots. Il lui écrivait des poèmes, elle tombera de chagrin en lisant leur beauté méphitique et desespérée lorsqu'elle retrouvera les dernières lettres qui lui avait adressé. Sa mère, qui plus est, romancière, journaliste, lui inspirait tout ce que la jeune femme désirait être. Lorsqu'elle perd son amour, c'est un peu son rêve de jeunesse qu'elle perd et ses illusions. Sa destinée est finalement celle de toute une génération de jeunes écrasée par la guerre, une génération perdue.


Plus que la mise en scène, classique, c'est l'histoire, incroyable parce que vraie, qui touche, soulignée par la musique somptueuse de Max Richter capable d'arracher des larmes à un mort.


Inspiré de l'autobiographie Testament of Youth de Vera Brittain, le film touche par sa sensibilité, sa beauté visuelle, mais également et surtout par sa vraisemblance. A la fois dramatique mais ne tombant presque pas dans le mélo, on est happé par l'histoire de cette jeune femme brillante et féministe avant l'heure. Le film est parfois un peu long, mais on y retrouve cette délicatesse toute britannique, et la Grande Guerre du point de vue anglais, assez peu vue en France. Alicia Vikander porte le film de bout en bout, touchante et magnifique, dans tous les sens du terme. Le fait de voir Kit Harington (John Snow dans Games of Thrones) m'a davantage amusé que touché même si son jeu sobre reste très convenable, d'autant plus qu'il apparait assez peu à l'écran. Les figures masculines, intermittentes dans tout le film, le frère, le fiancé, le père, soulignent la cruelle absence des hommes partis au front.


Le film est assez poignant et l'histoire ravivera certainement les larmes des plus émotifs. Souffrant de quelques longueurs, le souffle de certaines scènes permet néanmoins d'apprécier l'élégance et la sobriété de l'ensemble. Loin des gros sabots américain, on y décèle la finesse toute britannique. A voir pour le récit biographique et pour Alicia Vikander, plus que jamais en poupe.


ADDENDUM


J'ai beaucoup repensé à ce film en ce temps de Covid. A l'oeuvre de Vera Brittain aussi, à cette génération perdue. Les parallèles de ce que nous vivons avec la guerre sont nombreux. Les restrictions nombreuses, la mort omniprésente, les guerres idéologiques sous-jacentes. Et au milieu de tout ce chaos, voilà une jeunesse brimée. Elle n'est pas envoyée au front comme jadis, elle n'est pas la génération sacrifiée, elle est une génération sans avenir. Obligée de végéter en silence, sans boulot, sans études, la santé et le confort des Vera Brittain de notre temps, n'ont pas d'importance. Comme elle, le Covid a restreint leur champ du possible. Comme elle, les rencontres se font rares et douloureuses, les promesses de voyages, incertaines. Comme elle, ils vivent dans cette morne et poisseuse atmosphère, où l'on regarde les autres mourir, où l'incertitude est reine.

Créée

le 2 oct. 2015

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Tom_Ab

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