Le cinéma d’Apichatpong Weerasethakul est des plus passionnants, évoquant tant l’existence humaine que le passage et le renouvellement du temps, comme du monde. Avec Memoria, le cinéaste thaïlandais s’intéresse de nouveau au souvenir d’une horticultrice écossaise, et plus particulièrement à celui d’un son, un son qu’elle essaye de retrouver à Bogota en Colombie, comme si celui-ci pouvait l’éclairer sur la beauté, ou l’horreur du monde moderne. Quel est ce son, pourquoi s’est-il manifesté ? On connaît l’affection que porte l’immense réalisateur aux traditions de son pays, et plus particulièrement aux légendes de fantômes, rites de chamans qui perpétuent la vie même après la mort. Memoria s’inscrit parfaitement dans la filmographie de Weerasethakul. Sur un parking proche du domicile de Jessica, incarnée par Tilda Swinton, les voitures se manifestent sans raison apparente par des klaxons, la femme est réveillée par une autre détonation sonore, et ce qui semble être sa sœur bouge dans la pièce avant son réveil. En quelques plans, tout est dit : Memoria évoquera les fantômes du monde moderne, ceux qui manquent à la vie, qui en faisaient jaillir sa beauté. Le cri est la première manifestation de vie d’un bébé à la naissance, ici, c’est l’environnement, comme les éléments (l’air, l’eau et le feu), qui crieront au réveil de l’homme et de la femme.


Memoria dispose d’une immense qualité, qui n’est pas très surprenante quand on connaît les autres œuvres du cinéaste, bien entendu, la mise en scène. Des plans aux cadres immenses que fait durer Weerasethakul pendant des minutes entières, le regard du spectateur se perd devant la végétation, et le regard d’une Tilda Swinton en état de grâce à l’occasion d’une télépathie des plus touchantes. On ne cessera de le rappeler, mais il y a peu de metteurs en scène qui ont aujourd’hui le cran de proposer une telle expérience sensorielle, à rappeler le Stalker de Tarkovski, tant il s’en dégage une puissance esthétique folle. C’est aussi, exploiter d’une manière totale le terrain de son art, le cinéma. Comme tout musicien et metteur en scène, l’intention de représenter le monde tel que l’artiste le perçoit doit se faire ressentir dans son œuvre intégrale. Le film est le témoignage d’un artiste, comme d’une actrice, c’est la tentative de retrouver la justesse d’une représentation effective du monde qui les entoure. Absorber l’image comme le son, la nature comme la musique et les bruits environnants, c’est ce que tente de faire Jessica dans le long-métrage. Et si, elle ne recherchait pas simplement à retrouver le cinéma, au-delà du charme de la vie, d’un monde désespérément perdu ?


Critique en intégralité : https://cestquoilecinema.fr/critique-memoria-retrouver-le-sens-de-la-vie/

William-Carlier
10
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes 2021 : Une année cinématographique, Les meilleurs films de 2021 et Les meilleurs films d'Apichatpong Weerasethakul

Créée

le 20 nov. 2021

Critique lue 243 fois

5 j'aime

William Carlier

Écrit par

Critique lue 243 fois

5

D'autres avis sur Memoria

Memoria
Sergent_Pepper
8

Sound & fusion

Tout connaisseur de l’œuvre d’Apichatpong Weerasethakul sait qu’il ne faudra pas se laisser abuser par les apparentes nouveauté de son dernier film pour attendre de lui un brutal changement de...

le 19 nov. 2021

49 j'aime

13

Memoria
Velvetman
9

Le bruit venu d’ailleurs

Memoria d’Apichatpong Weerasethakul vient de faire son entrée dans la Compétition du Festival de Cannes 2021. Avec son style habituel aussi ésotérique que tellurique, il place la barre très haut,...

le 19 nov. 2021

30 j'aime

3

Memoria
Virgule1
3

Every Frame A Painting ?

Le cinéma est un art aux conceptions diverses, un art multiple, entre ce qui s'apparente à du théâtre filmé ou à de la littérature, ou au contraire une idée bien plus visuelle de l'art, un mélange...

le 18 nov. 2021

26 j'aime

53

Du même critique

Frère et sœur
William-Carlier
1

Et... ta mère aussi !

Il n’est jamais agréable de constater le piètre jeu d’un acteur que l’on apprécie, surtout lorsqu’il est dirigé par un auteur. Le film d’Arnaud Desplechin est une souffrance constante, paralysée par...

le 23 mai 2022

30 j'aime

2

Black Panther: Wakanda Forever
William-Carlier
2

Pour les enfants

Il n'était pas possible d'attendre quoi que ce soit de ce deuxième volet du déjà très oubliable Black Panther, pour la simple raison qu'il n'y avait encore rien à ajouter à la matière très fine de...

le 20 nov. 2022

20 j'aime

1

Sans filtre
William-Carlier
8

Shitty Ship

Ruben Östlund ne met pas d’accord son public, qu’il avait un peu offusqué lorsque The Square avait remporté la Palme d’Or. On disait son style irritant, son propos social prétentieux en plus de...

le 29 sept. 2022

19 j'aime