Considéré comme pilier de la nouvelle vague coréenne, Memories of Murder est le second métrage de son réalisateur, Bong Joon-ho. Aujourd’hui artiste majeur de l’univers cinématographique coréen et mondial, on pense à Okja dernièrement, mais aussi The Host en 2006 et Snowpiercer en 2013, il devait encore faire ses preuves au début des années 2000. Avec Memories of Murder, Bong Joon-ho ne laisse aucun doute sur ses talents de metteur en scène et de storyteller.


Se basant sur une histoire vraie, le film raconte l’enquête d’une unité de police mobilisée pour résoudre la première affaire importante de serial killer en Corée du Sud entre 1986 et 1991.


En 2 heures, le réalisateur entreprend de nous plonger dans cette période sombre, accompagnée de personnages marqués par une réalité sociale forte et omniprésente.


Quand le désordre rencontre l’ordre


Lorsque la première victime est découverte, ce qui frappe en premier c’est le désordre de la scène de crime. Les lieux ne sont pas protégés, les preuves sont détruites par des tracteurs qui passent tranquillement leurs chemins, les officiers de police sont débordés par les évènements. Ce désordre est renforcé par la mise en place d’un mélange des genres tragiques et comiques propre au film, ce qui en fait parfois quelque chose de grotesque. On peut par exemple penser aux multiples policiers qui chutent en voulant descendre dans le champ ou la victime a été retrouvé ce qui décrédibilise immédiatement l’entreprise dans laquelle ils s’engagent.


On retrouve ces moments de burlesque, presque cartoonesque, quand Park Doo-man (le policier principal chargé de l’enquête) doit expliquer au supérieur des inspecteurs comment l’enquête avance. N’ayant aucune piste, il bégaye, il tente des explications chamaniques ou des théories hasardeuses sur la pilosité du coupable.
Mais ce désordre est équilibré grâce à la mise en place d’un ordre et d’une justesse implacable. Déjà, le fait même que le film comporte un tueur en série aux habitudes bien arrêtées et aux méthodes répétitives. On peut penser aux processus et aux conditions de l’acte en lui-même mais nous y reviendrons.


Et puis, on ne peut passer à côté de la mise en scène de Bong Joon-ho. Organisée, chorégraphiée et sans effets visuels superflus. Ainsi un grand nombre de scènes sont réalisées en plan-séquence ce qui facilite la lecture des évènements. Chaque « cut » a un sens et l’on compte peu d’effets visuels (quelques ralentis parfois mais qui font sens dans l’histoire et accentuent le tragique ou le suspens de la scène) qui, lorsqu’ils apparaissent, prennent une tout autre dimension narrative.


Barrière du temps


Justement, ces ralentis évoquent un autre aspect intéressant à soulever, celui du rapport au temps. En effet, les policiers combattent contre lui avant de combattre contre le tueur. Ils se doivent de le retrouver avant qu’il ne passe à l’acte à nouveau. C’est cette image de la spirale infernale qui nous embarque dans le film et qui ne nous laisse que peu de temps de répit. Le spectateur se voit « sauvé » de la tension grâce au bon dosage de l’humour dont Bong Joon-ho a le secret. L’idée même pour le spectateur d’être prisonnier pendant deux heures le fait se sentir impuissant face au temps qui défile peu à peu. On attend un aboutissement, une résolution, un arrêt du temps.
Mais, comme dit plus haut, le meurtrier à une méthode bien arrêtée. Il va alors ne tuer que les jours de pluie. Cet évènement incontrôlable et inévitable. La menace vient du ciel et on ne peut y échapper. L’auteur des crimes va tuer à nouveau, mais quand ? Le facteur temps météorologique rajoute alors un ennemi, on espère silencieusement qu’il ne pleuve pas, qu’on puisse arrêter le temps. Bien que les événements soient terminés, ils n’en restent pas moins inscrits dans le temps, que ce soit historiquement ou culturellement avec le film. Est-ce que ces moments seront perdus dans le temps comme des larmes dans la pluie ? Bong Joon-ho nous donne une piste de réflexion.


Voyage initiatique


Le réalisateur nous fait aussi réfléchir sur le voyage entrepris par les personnages et nous-mêmes en tant que spectateur. Bien que l’intrigue ne soit pas résolue, spécificité propre au « hardboiled », chaque personnage se questionne et remet en cause sa démarche de vie.


Tout d’abord, le détective Seo Tae-Yoon, tout droit arrivé de Séoul pour aider dans l’enquête, ne jure que par les documents et les méthodes d’investigation américaines. Pour lui « un document dit toujours la vérité ». Mais lorsque sa façon de penser se cogne au problème de l’instinct il se trouve impuissant face aux événements et perd son sang-froid légendaire.


Ensuite, quelques personnages représentant l’innocence, comme « l’idiot du village », l’écolière ou encore le mari bienveillant face à sa femme malade, sont mis à nu et lancés dans le dur monde de la violence. Qu’elle soit morale ou physique. Qu’elle pousse au suicide, à la confession de fantasmes ou qu’elle mène à une mort violente. C’est un voyage sombre. Un tunnel sans fond, à l’image duquel s’enfonce Park, le principal suspect.


Puis, le détective Cho Yong-koo, bien que personnage secondaire, est traité lui aussi au travers d’un cheminent initiatique. D’abord impassible et violent, il réalise que ses actions ont des répercussions importantes dans son travail, puisqu’il se voit interdire l’accès à la salle d’interrogations, et dans sa vie puisque pendant une bagarre qu’il a provoquée il est blessé à la jambe. Jambe qui doit être amputée. Bong Joon-ho lui retire ici la raison du mal qu’il avait provoqué (de par ses fameux high kicks notamment).


Enfin, c’est Park Doo-man qui se voit changer. D’abord imbut de sa personne et ne croyant que son instinct de policier « badass » il évolue petit à petit vers une personne plus mature. L’horreur des meurtres le grandit. C’est lui qui plus tard empêchera son coéquipier de commettre l’irréparable et reconnaîtra qu’il « ne sait pas ». Ainsi, le terrible dernier plan peut être lu ainsi : Park Doo-man nous fixe, comme pour nous demander si nous nous avons une réponse. C’est un regard d’appel à l’aide, imbibé de larmes. Ou bien est-il adressé au tueur au visage ordinaire et aux mains douces ? Regarde-t-il lui aussi le même écran que vous ? Ou bien est-ce vous ?

Arastark
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le 23 févr. 2018

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