Après avoir exercé comme chef opérateur sur les trois premiers (excellents) films des frères Coen et sur le Misery de Rob Reiner, Barry Sonnenfeld passa à la réalisation en 1991, en mettant en scène avec succès les premières aventures cinématographiques de la famille Addams, occupant un siège qui fut longtemps prédestiné à Tim Burton. De nombreuses critiques ne se privèrent d'ailleurs pas à l'époque de reprocher à Sonnenfeld de marcher sur les plates-bandes de Burton, tant l'univers de ses deux premiers films convoquait pas mal de l'imagerie burtonnienne, laquelle puisait déjà dans la série originale.


Il était difficile d'envisager meilleur réalisateur que Burton pour mettre en scène La Famille Addams, tant le degré d'absurdité funèbre et de bouffonnade surréaliste du scénario semblait être écrit sur mesure pour épouser la fantaisie mortifère du réalisateur de Beetlejuice. On se sera tout simplement trompé. Sonnenfeld s'en tira avec les honneurs et après deux comédies sympathiques revint à la comédie fantastique en 1997 avec Men In Black.


A l'origine, MIB fut une mini-série de comics édité par Aircel Comics puis par Malibu Comics, finalement racheté par Marvel. Inspiré d'une légende urbaine américaine selon laquelle à chaque témoignage de l'existence d'une vie extra-terrestre, de mystérieux hommes en noir font très vite leur apparition pour faire taire les rumeurs, le comic a détourné l'aspect négatif des sinistres hommes en noir pour rendre leur motivation un rien plus bienveillante et en faire les "héros" de l'histoire. Cette légende urbaine aura par ailleurs alimenté bon nombre de fictions avant MIB, dont la série X-Files. Totalement inconnue de ce côté-ci du monde, le comic Men In Black présentait assez d'originalité pour attirer l'attention de quelques gros producteurs aux portes-monnaie intarissables afin de l'adapter au cinéma. Les droits furent vite acquis par la compagnie Amblin de Spielberg, mais la pré-production s'embourba dans l'attente de la disponibilité de Sonnenfeld (lequel avait suffisamment impressionné les producteurs avec ses deux versions de La Famille Addams pour les convaincre qu'il était l'homme de la situation) pour réaliser le film.


C'est ainsi qu'à peine sorti du tournage de Get Shorty, Sonnenfeld s'atèle à l'adaptation de ce comic hors du commun, expurgeant le scénario d'Ed Solomon de ses quelques restes de gravité et recentrant l'intrigue à New York.


Les aliens sont parmi nous. Déguisés, camouflant leurs apparences grotesques et protéiformes sous des costumes d'humains plus ou moins indétectables, une multitude de races extra-terrestres venant de toute la galaxie transite par la Terre, y séjournant ponctuellement ou perpétuellement si tant est que leurs papiers soient en règles. New York est la principale porte d'entrée sur Terre pour les aliens. Leur séjour sur notre planète est principalement régulé par une organisation gouvernementale ultra-secrète, le MIB, acronyme de Men In Black, composé de plusieurs agents anonymes, reconnaissables à leur dégaine de croque-mort et à leur indissociable costume sombre. Ces agents ont pour principal mot d'ordre de protéger la planète contre une éventuelle menace alien et surtout de maintenir dans l'ignorance la population humaine quand à la présence extra-terrestre sur Terre. Les quelques rares témoins gênants se voient ainsi, sans la moindre violence, effacés la mémoire séance tenante par les agents du MIB. K est un des ces agents. Il rencontre bientôt James Edward, un jeune flic impétueux de New York dont l'enquête empiète sur la sienne. Y voyant l'occasion de former un nouvel équipier, K l'intronise nouvel agent du MIB et apprend au nouvel agent J les rudiments du métier. Leurs investigations les mettent bientôt sur la trace d'une "bestiole"...


Originalité de l'histoire, esthétique farfelue et personnages hauts en couleur, tout y est. Dès le sublime générique d'ouverture, suivant le vol nocturne désespéré d'une libellule, laquelle vient inéluctablement éclabousser le pare-brise d'une camionnette, Sonnenfeld donne le ton. Son film est une habile comédie fantastique jouant de l'ambiguïté des tailles et des apparences. La scène d'intro joue déjà sur l'effet de situation simultanée, superposant la descente de K sur un banal contrôle des douanes américaines. Sonnenfeld fait alors d'un groupe de sans-papiers mexicains, la couverture idéale pour un fugitif alien (le dénommé Mickey) dont la véritable apparence, grotesque et colorée, détonne avec l'ambiance sinistre de la scène et l'apparition solennelle des Men In Black.


Le cadre se décale très vite sur New York, Sonnenfeld ayant insisté sur l'intérêt d'y tourner la majorité de l'intrigue (au détriment d'un bled quelconque du Nevada). Le fait que le réalisateur ait voulu prendre cette ville pour cadre de son histoire n'a rien d'anodin, la grosse pomme étant connue comme une des mégapoles les plus cosmopolites du monde. De même qu'une grande partie de l'immigration américaine a longtemps transité par Ellis Island, les aliens affluent de toute part de la galaxie dans les locaux du MIB, enterrés sous la métropole.


Les hommes en noir sont les principaux gendarmes de cet afflux d'aliens dans notre monde. Ils veillent aux bonnes intentions des extra-terrestres et à leur respect des conventions humaines. Ainsi, si les migrants aliens font tout ce qu'ils peuvent pour dissimuler leur apparence et leur identité pour se fondre parmi les humains tenus dans l'ignorance, cette volonté de passer inaperçu ne se pose même plus pour les agents du MIB, puisqu'ils ont tout sacrifié pour leur fonction. Ayant renoncés à leur ancienne existence et ce, jusqu'à leur identité civile, pour plonger dans l'anonymat le plus total (de manière à être au-dessus du système), les noms des agents ne se résume alors plus qu'à une misérable lettre. C'est ainsi que James Edward verra son nom simplifié en la seule lettre J par l'administration du MIB.


Le film suit donc le parcours de James Edward, de son statut civil de policier tenace, totalement ignorant de ce qui l'entoure, à sa formation hilarante en tant qu'agent J, auprès du flegmatique agent K. Ce dernier joue les rôles de mentor impassible, enseignant à J à quel point les apparences peuvent être trompeuses pour un oeil non exercé. La superposition des points de vue de K et de J, lequel se réfère à celui du spectateur tant il découvre tout un monde insoupçonné, donne alors lieu à des séquences cocasses comme l'entrevue avec Jeebs ou l'interrogatoire de Franck l'informateur (qui, entre le vieux croulant et le bouledogue, n'est pas celui qu'on croit). C'est donc souvent sous le regard médusé de J que K débusque un alien trompant son monde où "flashouille" la mémoire d'un témoin incrédule. K ayant d'ailleurs la main lourde sur son zappeur de mémoire, J le morigènera lors d'une séquence des plus amusante. Par ailleurs, le "flashouilleur" implique l'utilité scénaristique des lunettes noires autrement que comme un simple élément d'élégance censé s'ajouter à l'allure uniforme des agents du MIB.


Le duo Jones -Smith fonctionne à merveille, l'un jouant de son impétuosité et de son humour pour contrebalancer le flegme inaltérable de l'autre. Le calme et le sérieux de l'agent K devant l'urgence de certaines situations prête ainsi souvent à sourire d'autant que ses réactions nonchalantes détonent furieusement avec celles plus rationnelles de l'élève J. Sur une banale intrigue s'articulant autour d'un simple MacGuffin (la galaxie d'Orion contenue dans le médaillon dont au final, on se fout royalement) et sur la menace d'un vague ultimatum impliquant le destruction possible de la Terre, le scénario développe suffisamment ses deux protagonistes pour en faire un duo complémentaire, amusant et attachant.


L'antagoniste n'est pourtant pas en reste. Imaginez une "bestiole" dans le jargon du MIB, c'est à dire un cafard colossal de trois mètres de haut engoncé dans un costume humain de fermier redneck, dont la peau plisse comme le tissu d'une chemise mal repassée et se désagrège au fil des heures, et vous aurez Edgar, incarné par le génial Vincent d'Onofrio, qui hérite ici du rôle le plus ingrat du film. Au détour de quelques répliques savoureuses (un "A côté de vous pauvres humains, je suis au sommet de l'évolution" lâché alors qu'il ne ressemble plus qu'à un cadavre ambulant) et le plus souvent seul de son côté du métrage, il assure lui-même une partie non négligeable du show. Son personnage est un monstre à l'étroit dans un corps d'homme, il lui donne alors une gestuelle saccadée et une allure empotée tout aussi drôle qu'angoissante, comme si l'enveloppe humaine menaçait sans cesse de se déchirer pour révéler l'alien qui se cache en dessous. C'est ce qui se passera dans la confrontation finale, où Edgar tombe le masque et cède la place à un cafard cyclopéen et terrifiant aux mandibules carnassières.


Sonnenfeld conclue alors son métrage par la visualisation ingénieuse de la principale théorie véhiculée par le film selon laquelle toute échelle de mesure est variable selon le point de vue que l'on adopte. En gros, l'idée que la taille n'est rien et qu'une galaxie, toute aussi immense soit-elle, puisse être contenue dans un vulgaire pendentif, relativise la place de l'homme sur l'échelle universelle (merci Lovecraft) et pose les bases d'une éventuelle suite (qui ne tirera presque rien de cette idée si ce n'est quelques gags visuels). Au final, nous sommes ainsi réduits à de vulgaires microbes proliférant dans les tréfonds d'une minuscule bille (notre galaxie), balancée avec entrain par quelque géant puéril et disproportionné.


Des effets spéciaux d'ILM aux maquillages de Rick Baker en passant par la musique de Danny Elfman, toute la qualité d'une comédie parfaitement écrite et tournée se retrouve dans ce Men In Black, qui par bien des aspects, dont l'un des moindres est cet habile mélange de comédie décontractée et de surnaturel, rappelle le Ghostbusters d'Ivan Reitman, tourné une décennie plus tôt.


Men In Black est donc une petite perle d'humour fantaisiste, un classique d'aujourd'hui dans lequel Sonnenfeld confirmait son goût du fantastique bien emballé mais toujours au service d'une comédie détonante. Il n'aura jamais fait mieux depuis, s'enlisant tout de suite après dans un projet qu'il n'arrivera pas à porter à la hauteur des espérances (Wild Wild West) et dans une succession de comédies sans prétentions. Il aura néanmoins donné deux suites aux aventures de K et J, de qualités variables selon les spectateurs, mais qui sans arriver à renouer avec la surprise que fut le premier opus auront prolongés agréablement le séjour de ces drôles d'aliens sur Terre pour le simple plaisir des yeux... et des zygomatiques.

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le 27 oct. 2014

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Buddy_Noone

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