Après avoir découvert Sokourov avec sa réadaptation mystique de l'oeuvre de Goethe en 2012, qui m'ouvrit les portes du cinéma d'art et essai, puis m'être fâché avec son Arche Russe trop pompeuse à mon goût et qui m'avait beaucoup déçu, je me suis enfin réconcilié avec son cinéma grâce à ce merveilleux Mère & fils, tout en douceur et d'une humilité artistique folle.


Dans cet fresque minimaliste, le cinéaste russe nous offre une réflexion discursive sur la perte, l'amour, la vie et la mort au travers du plus bel amour qui soit, celui entre une mère et son fils. La mère est mourante et le fils veille sur ses derniers jours. Voir ses dernières heures. Tout comme on veille sur un enfant qui ne trouve pas le sommeil. La figure de la mère est grandit et symboliquement associée à une nature présente dans la quasi totalité des plans de ce petit film, une nature génitrice et nourricière de l’humanité. La matrice originelle de toute forme de vie qu'il viendra sacraliser avec une des plus belles pietà jamais vu au cinéma.


Dépeinte avec cette esthétique d'un ocre monochrome, teinté de vert et de gris, c'est tout un monde qui se meurt ici. Un monde régit par des sentiments sacrés où la pudeur d'un baisé se substitue agréablement à la surenchère émotionnelle de pleurs outranciers. C'est leur monde à eux qui prend fin. Le monde qu'ils ont construit l'espace d'un moment, coupés du reste de la société évoquée par un voilier et une locomotive, comme pour revenir aux source d'une relation originelle, d'un amour pur et sincère. Loin d'une société industrialisée, gangrenée par la haine et la guerre. Ils se retrouvent tout les deux dans ce jardin d'Eden mortuaire pour trouver le repos. Et le film s’inscrit dans un contraste permanent où l'opposition est constante dans une nature ambivalente qui donne autant qu'elle peut reprendre sans raisons. À la foi berceau et cercueil de l'humanité, la mise en scène de Sokourov insiste avec poésie sur l'opposition entre la vie et la mort, le joie et la tristesse, la détermination et la résignation... Un tout inhérent à la condition humaine mise à rude épreuve par la perte.


C'est une poétique de la fin qui s'engage dès le début et qui se maintient tout le long de cet valse macabre contre le temps et l'érosion des corps. La mort plane sur tout le film à l'image de ces nuages noirs qui survolent les valons et les pleines déformés, assombrissant les corps et les âmes sans ne jamais détruire. La mort ne s'offre qu'une moitié de victoire. L'amour ne disparaît pas vraiment. La mère non plus d'ailleurs. Sokourov semble montrer cette nature comme dernier refuge de l'âme maternelle. Un refuge baigné de lumière chaude. Où le chant des oiseau continuel vient à prouver que la mort n'est pas une fin en soi. La mort d'une chose n'est pas la fin d'un tout aussi dévastatrice qu'elle puisse être. Elle s’inscrit dans un flot continu et naturel. Dans un cycle en perpétuel renouveau. Au cœur du printemps une fleur se fane quand d'autres bougonnent. Née alors une vision magique lorsque le cinéaste appose en un même plan et côte à côte la mère mourante et un arbrisseau à peine fleurit.


Esthétiquement inouïe, le film est constitué de plans tout plus beaux les uns que les autres, mais deux en particulier auront étrangement réussit à me bousculer plus que les autres. Le premier étant celui où l'on voit un champ de blé caressé par le vent. La nature ici est vivante, elle respire, elle est innervée d'un flux constant de sensations. Elle est presque humaine sous le regard des deux.


L'autre plan qui a retenu également toute mon attention est celui magistral où le fils éclate dans un sanglot muet trouvant support au pied d'un arbre à l'imposante carrure. C'est évidement la mort de sa mère qu'il sait survenue (mais que ne sera finalement pas filmée) à laquelle il réagit dans ce plan. Le récit l'isole et il ère à la recherche d'un réconfort auprès de cette nature qui unit l'humain au divin selon la philosophie transcendantaliste. Mais alors qu'il se laisse aller, l'atmosphère prend une allure presque mystique. Une voix semble surgir du fin fond des bois et vient s’apposer au son du vent pour faire résonner au cœur de cette forêt un dernier requiem, une berceuse murmurée par l'esprit de la mère à son fils qui vient trouver le repos au cœur de cette nature immémoriale. Et malgré sa petite heure, le film semble durer une éternité, le temps aussi dilaté que l'image crée une réalité alternative. Un espace poétique dédié à l’acceptation d'une perte.


Bien loin du pessimisme du Cheval de Turin de Béla Tarr (si l'on évite bien sûr de voir en mère et fils une allégorie d'une nature polluée se mourant sous les coups d'une espèce humaine négligente), ici c'est une apocalypse teintée d'espoir et d'un message lumineux qui nous est picturalement conté par Sokourov. Celle d'un amour aussi éternel que la nature est en perpétuel renouveau. Et c'est au travers d'un discourt sur l'art développé dans le métrage que cet amour gagne son statut d'immortalité.


La notion d'esthétique est au cœur du propos de l'oeuvre. Véritable proposition artistique elle pose une réflexion sur la place de l'art dans la vie des hommes. Rien que ça. La déformation optique permet, en plus de l'apport d'une dimension monstrueuse à l'atmosphère mortifère, la création d'une image unique où certaines perspectives sont effacées. Où la construction d'un plan devient abstraite, inscrivant l'homme et la nature en arrière plan dans un même mouvement déformant. Sokourov semble voir l'homme et la nature comme faisant partis d'un seul et grand tout. À l'image de ce plan où le fils s'allonge à flan de colline pour totalement disparaître dans une unité monochrome. De ces compositions naissent de véritables tableaux. Réminiscence des peintures des plus grands maîtres, à la limite d'un impressionnisme crépusculaire. Une peinture à l'huile centenaire s'anime sous nos yeux.


En l'art certains artistes voient une façon de gagner leur immortalité. De figer une parcelle de temps sur toile, ou sur pellicule dans le cadre du cinéma. Il permet la survivance d'une vision, d'idées, de l'humain. Comme ces indigènes qui face à la découverte de l'appareil photographique frissonnaient à l'idée que ce dernier n'engloutisse leurs âmes. L'artiste devient immortel via son oeuvre. Tout comme la mère qui dans l'abandon de son corps transcende sa condition et devient immortelle sous la caméra de Sokourov. Son corps meurt mais elle rejoins les rangs d'une infinité astrale et elle survit à son fils, qui lui demande de l'attendre, non seulement au travers d'un nature immortelle qui meurt et renaît chaque années, mais aussi grâce à l'art. Voici le message d'amour au 7ème art que je vois en cette oeuvre sublime.


Mère et fils est en somme l'oeuvre inspirée et touchante d'un cinéaste qui, bien qu'ennuyant à certains moments, impressionne de par la force de sa simplicité et la grandeur de sa pudeur. Il donne naissance à une oeuvre d'un dépouillement effarant mais incroyablement chargée d'amour et d'intelligence.

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le 14 août 2017

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Aiccor

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