Le Berlin des années 60 est un nid d'espions encore coupé en deux par l'infamant mur du même nom. Son inviolabilité est cependant depuis longtemps bafouée et les évasions de l'Est vers l'Ouest sont devenues courantes (presque quotidiennes) et redoublent sans cesse d'ingéniosité. Les plus réussies sont en générale à mettre sur le compte d'un même homme, un berlinois de l'Ouest du nom de Kreutzmann, qui fait les beaux jours du bloc occidental en même temps qu'il mystifie les services de renseignement communistes de Berlin Est dirigés par le colonel Stok, censé endiguer cette marée humaine fuyante.
Excédés par ses échecs à répétition, le colonel soviétique au bout du rouleau quémande l'aide des renseignements britanniques et demande à être transféré à l'Ouest pour y être, moyennant son lot d'informations compromettantes, logés et rémunérés selon ses termes. Pour s'assurer de sa bonne foi, le MI5 dépêche sur le théâtre même de ses précédents exploits le néo-agent Henry Palmer chargé, si les dires du gradé rouge s'avéraient véridiques, d'organiser son transfert à l'Ouest. La seule condition qu'impose Stok est d’être pris en charge par celui qui lui a causé tant de tort, le fameux Kreutzmann. Soit.

La suite de la critique révèle les ficelles (en sac de nœud) et la fin de l'intrigue. Elle s'adresse donc à ceux qui ont déjà vu le film et qui se poseraient quelques questions quant au fin mot de l'histoire (il n'est pas recommandé de s'absenter plus de cinq minutes consécutives à partir du milieu du film, pas de temps mort pipi quoi). Donc. Pour s'assurer du succès de son opération, Palmer s'entoure de vielles connaissances en qui il fonde une confiance, sinon totale, du moins suffisante pour cette mission. Johnny Vulkan notamment est de ceux-là. Les autres consistent en un faussaire couteau-suisse berlinois et un documentaliste du MI5 répondant au nom d'Hallam. Tous ensemble montent l'opération. Le scénario est le suivant : côté occidental, une veuve en pleurs attendra au checkpoint le corbillard lui ramenant la dépouille de son mari décédé à l'est, en fait le corps bien vivant de Stok. Soit. Mais quelle surprise! Quelle surprise sur le visage de Palmer à l'ouverture du cercueil : ce n'est pas le ventripotent colonel qu'il recèle, mais bien un cadavre! Celui de Kreutzmann! Ou comment les renseignements britanniques ont été finement manipulés par leur homologues soviétiques pour faire sortir leur atout maître (Kreutzmann) de sa tanière, à porté de canon des fusils communistes.

Là encore, le paragraphe est susceptible de révéler des informations compromettantes au lecteur qui n'a pas vu le film. Car il y a bien une deuxième intrigue dans le film. Celle qui porte sur la réelle identité d'un certain "Paul Louis Broum", censée être la nouvelle identité du colonel Stok une fois le mur de Berlin franchit (maintenant nous savons qu'il n'en a jamais été question pour lui). Un nom parmi tant d'autres lui répond Hallam, le documentaliste du MI5, lorsque Palmer lui demande pourquoi celui-là même, qui est justement retrouvé dans le calepin d'une agent des services secrets israéliens... Selon elle, Paul Louis Broum serait un ancien gardien nazi ayant dérobé pour plus de deux millions de dollars aux prisonniers juifs dont il supervisait le camp de concentration pendant la seconde guerre mondiale. Deux millions de dollars entreposés dans une banque suisse que l'état d'Israël aimerait logiquement récupérer. Mais pour cela, il leur faut d'abord mettre la main sur les fameux papiers au nom de Paul Louis Broum que le MI5 détient. Tâche ardue quand on sait que l'homme en question est encore en vie et qu'il avait prévu, avec la complicité de Kreutzmann et Hallam, d'aller récupérer son magot. La véritable identité de cet homme, si elle reste encore un mystère pour Palmer, est en revanche parfaitement connue de son supérieur le colonel Ross : il ne s'agit ni plus ni moins de Johnny Vulkan, nom de couverture qu'il a emprunté jadis à un résistant qu'il avait abattu et qu'il assume désormais.

Il y a du John Le Carré dans ce film avec son espion non conformiste, inquiétant et fascinant et ses parties d'échec aux coups connus seulement des plus hautes sphères et dans lesquels les participants avancent comme des pions dans le noir. Même s'il porte le complet comme très peu d'acteurs et qu'il lève les nanas d'un simple mouvement de sourcil, on est loin de l'image d’Épinal du célèbre agent secret au permis de tuer : flegmatique (est-il nécessaire de la rappeler puisque c'est Michael Caine qui l'incarne), désabusé, amer, Palmer est un agent tout terrain rusé qui manie d'avantage l'humour grinçant que le Lüger et possède sa part d'ombre. C'était là tout le talent de Caine de donner sa personnalité aux personnages qu'il incarnait plutôt que de se laisser submerger par les émotions néfastes inhérentes au processus de création d'un rôle. Un film agréable à regarder, surtout si on aime Caine.
blig
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le 4 nov. 2014

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