Pas évident d'émettre des réserves sur un film considéré comme un chef-d'oeuvre lorsqu'on le découvre quarante ans après sa sortie, où il avait été sifflé par le public et éreinté par la critique. Mais je n'ai jamais été partisan de l'hypocrisie consistant à se pâmer de principe devant un classique (parce que c'est un classique, et peu importe si dans le fond on s'est cruellement emmerdé : il faut dire comme tout le monde que c'est génial) ; et dans le cas présent, je suis bien obligé de reconnaître que je n'ai pas été totalement emballé.
Alors oui, il y a l'interprétation féline de Ben Gazzara, les plastiques stupéfiantes de Azizi Johari et Alice Friedland, une ambiance de film noire piquée par d'inquiétants gangsters et surtout l'émouvant engagement autobiographique de John Cassavetes, qui signe ici une métaphore sur l'ambition d'intégrité de l'artiste contrariée par les diktats d'un monde capitaliste briseur de rêves.
Mais les maladresses d'interprètes pour la plupart amateurs, le choix de certains cadrages qui rendent l'action brouillonne en la situant étrangement (et je serai tenté de dire : maladroitement) hors champ, le temps excessif accordé à la représentation de spectacles volontairement médiocres (que même Gazzara, de son propre aveu, trouvait pénibles à regarder sur le plateau de tournage), cette réussite paradoxale dans la volonté de Cassavetes de mettre le spectateur hors de sa zone de confort ; tout ceci m'a souvent tenu à l'écart du film et empêché d'y adhérer pleinement.