Mia Madre semble répondre à cette injonction que le personnage de la cinéaste donne systématiquement à ses acteurs : "joue à côté de ton personnage". Ce que Nanni Moretti vise ici, c'est l'à côté de l'autobiographie, une autobiographie qui ne chercherait pas à être plus qu'elle n'est (au contraire de Journal Intime, qui tentait cette grande réconciliation de l'individuel et du politique), mais qui se positionnerait légèrement en retrait de ce qu'elle est. D'où une certaine gêne : pourquoi cette pudeur soudaine quand le projet lui-même n'a rien de pudique, et alors que l'oeuvre de Moretti n'est pas à proprement parler timide ni même masquée ? Moretti, soudain, veut contourner - se contourner soi en s'attribuant un second rôle (le rôle de celui qui seconde sa soeur), et tourner autour de la circonstance (la mort d'une mère) qui étymologiquement est précisément ce qui tourne autour. Le mouvement est complexe, il finit par éclore, quand, dans les vingt dernières minutes, quelque chose de ce double-tournoiement se précipite, que la question du rêve, de la réalité et du souvenir n'est plus aussi clairement délimitée qu'au début, quand enfin le film trouve son flux, son ininterruption - babil d'une enfance retrouvée, qui dans son langage embrasse largement. Le babil infini contre la banalité hachée des jours adultes, où tout est un petit peu trop désinvesti, qu'il s'agisse de ces volets roulants qu'on voit dans tel plan, ou bien de ce plancher un peu brillant dans tel autre, tous ces éléments qui ne font jamais image et seulement décor, et que la musique d'Arvo Part tente d'emballer coûte que coûte.