Western Médiéval métaphysique en terre Cévenole

Choc visuel, pictural, auditif. Tout est simple dans ce film, brutal, organique, silencieux .
Tiré d'une nouvelle de 1810 allemande, cette terrible histoire de vengeance d'un honnête marchand de chevaux qui veut demander réparation au seigneur de coin qui n'a pas tenu sa parole concernant deux chevaux laissés en gage, dans une France du 16ème siècle encore médiéval, dans des Cévennes âpres et venteuses à souhait est immédiatement perçue comme un pied de nez à toute intention de gloriole et d'action magnifiée.
Sa colère va être une guerre personnelle. Il va entraîner avec lui ses proches, ses amis, ses voisins et les gens qui vont vouloir rejoindre sa cause. Guerre minuscule de gueux en armes, de paysans du coin entraînés par fidélité et d'anciens soldats attirés par l'odeur du sang et des pillages. Guerre d'un homme contre un noble afin de faire admettre son bon droit après le viol et le massacre de sa femme alors qu'il était absent. Le chagrin et la destruction vont aller avec lui dans cette lutte solitaire.
Les combats sont vus de très loin, sans beauté et sans bruits presque, les hommes sont rudes et rugueux, les chairs sont blessées par le soleil et la neige, les femmes sont aussi dures au mal que les hommes et aiment autant le goût du du sang que les autres. On se tire dessus à coups d'arbalète en se cachant dans des recoins jusqu'à ce que l'ennemi crève , on lance des chiens d'attaque sur des hommes comme sur un gibier quelconque, on renverse l'ennemi et on lui tranche la gorge et les jarrets . Point de preux chevaliers ici bas. Les nobles sont même pires que les autres, couards, imbus de leurs naissance, brutaux et s'enfuyant sous les habits d'une nonne alors qu'une abbaye brûle sous les flèches enflammées des partisans de Kolaas le protestant. Rien n'est capable d'arrêter cette vendetta personnelle.
Cet homme est empli de sa juste et digne vindicte, exigeant et implacable. Il ne veut pas abdiquer et va aller jusqu'au bout de sa folie tant que ces 2 chevaux ne lui seront pas rendus dans le même état que lorsqu'il les avait laissés à un seigneur en guise d'octroi de passage d'un pont misérable.. Mais on ne peut vraiment gagner contre la noblesse, une hiérarchie et des siècles d'allégeance. Un compromis est proposé par la princesse du royaume, soucieuse de stopper cette histoire qui commence à ébranler les institutions. Elle lui promet un procès équitable si lui et ses soudards rendent les armes. Ce qui va être fait. Mais des pillages vont être commis par des anciens partisans de Kohlaas. Il est arrêté. Jugement va être rendu.
La scène de fin du film donne une impression d'étouffement et d'angoisse, car l'inéluctable doit s'accomplir par décision seigneuriale. On est effrayés par ce que l'on devine de ce qui se trame alors que, calme et farouche, le marchand de chevaux attend les décisions du juge sur son conflit.
La mort rôde, on le sait. Une décision est prononcée mais elle possède deux facettes... Personne ne peut sortir gagnant d'un combat contre les seigneurs et leurs maîtres. Ce serait remettre en cause tout le système féodal qui arrive quasiment à son apogée au 16ème siècle. ( lutte des classes éternelle mais bien réelle là )
Michael Kolaas le marchand de chevaux aura réussi à ce qu'on lui rende justice, mais à quel prix... Son intégrité est impressionnante, rigide et pieuse et la fin inévitable ne l'en détournera pas. Sa vie de protestant ne sera pas entachée d'une quelconque petitesse d'esprit ou de sens.
Terrifiant parfois, minimaliste toujours et réaliste d'une manière simple, à regarder avec patience et ouverture d'esprit. Il faut être curieux pour s’ôter de l'esprit les impatiences de notre époque et les maniérismes des films de Super-Héros ou de héros nourris aux Donuts qui nous polluent forcément le cerveau à notre insu ou à l'insu de notre plein gré... Les ellipses sont saisissantes et abyssales. Il faut donc bien suivre le récit pour ne pas en perdre le fil.
Denis Lavant est saisissant lui aussi dans un court rôle de prêcheur protestant qui donne une magistrale leçon de philosophie au vengeur armé qui ne veut jamais désarmer. Cette trogne et cette voix , Denis reviens ! Tu nous manques ! Et cette démonstration de la supériorité de l'oubli, du pardon et de l'humilité est stupéfiante en nos temps si démonstratifs en fiertés particulières et communautaires.


A voir absolument! Et écoutez Mads Mikkelsen parler en Français réellement avec son accent grave et rocailleux est un plaisir de plus même si les dialogues sont rares.
Un film très métaphysique certes et qui aime s'étirer plus que ce que l'on voit habituellement, mais quel souffle, quelles leçons de cinéma et de dialogues servis par une photographie expressionniste fabuleuse.

Créée

le 5 mars 2019

Critique lue 402 fois

6 j'aime

6 commentaires

Prosper666

Écrit par

Critique lue 402 fois

6
6

D'autres avis sur Michael Kohlhaas

Michael Kohlhaas
Gothic
6

Cévennes Nation Army

HONNEUR (C'ETAIT LES CORONS) Michael Kohlhaas, ou l'histoire d'un éleveur d'équidés qui prospère (youp'la boum), et qui pour une question d'honneur, va tout risquer, et faire face à un baron zélé...

le 9 sept. 2013

68 j'aime

37

Michael Kohlhaas
Rawi
7

Critique de Michael Kohlhaas par Rawi

Michael Kohlaas n'est pas un Conan des années 2010 avec un acteur, un vrai en lieu et place de Schwarzy Mr Muscle ! Bon, je l'aime bien governator mais bon Mads qui montre ses fesses en sortant de...

Par

le 17 août 2013

59 j'aime

12

Michael Kohlhaas
Sergent_Pepper
8

Votre arme est un paysage choisi.

Il suffit à la caméra de s’attarder sur le visage de Mads Mikkelsen pour que le sombre charme opère : un personnage, une intention, une violence latente, tout l’amour du monde, aussi, vibrent dans...

le 30 mars 2016

52 j'aime

3

Du même critique

Westworld
Prosper666
3

Parc d'attractions sponsorisé par la NRA (National Rifle Association) avec enthousiasme!!!

Mon opinion est dans le titre; Tiré d'un excellent roman de Crichton, refaisage d'un film très nanar avec Yul Brynner, cette série qui promettait s'enlise dans un ennui morphinique prédictible et...

le 27 oct. 2016

16 j'aime

19

No Country for Old Men
Prosper666
10

Non ce pays n'est pas pour les hommes, il est pour ceux qui les regardent mourir de leurs mains ...

Un film sans musique et sans pathos. Un film d'une noirceur prosaïque magnifiquement servi par un Javier BARDEM ( Chirgurh ) assassin professionnel effrayant de lourdeur physique. Un film...

le 28 févr. 2019

12 j'aime

13

Requiem pour un massacre
Prosper666
10

Voyage immobile sur le fleuve des enfers

Film découvert sur le tard, puisque vu seulement en 2018, je dois dire que je ne pensais avoir manqué à ce point de discernement pour avoir "loupé" ce film étonnant. Dans le registre "films de...

le 9 août 2018

9 j'aime

7