Jeff Nichols est clairement en passe de devenir le cinéaste le plus important de sa génération. Etant déjà muni d'une carrière courte mais qui n'a pas encore eu de faux pas, il a même livré avec Take Shelter, son deuxième film, un chef d'oeuvre bouleversant et fiévreux. S'intéressant à des thématiques telles que la croyance et la paternité, s'entourant souvent des mêmes acteurs, notamment Michael Shannon qui a participé à tout ses films, il porte vraiment un regard d'auteur sur son cinéma et parvient toujours à traiter des genres de manière différente et inattendu. Beaucoup le prenne comme l'héritier de Spielberg mais il s'impose avec tout comme l'enfant du cinéma des années 80, celui qui arrive le mieux à y rendre hommage tout en allant de l'avant laissant entrevoir en lui un cinéphile nostalgique mais aussi un cinéaste conscient de son temps et des possibilités que celui-ci offre. Chose qui culmine dans son dernier film, Midnight Special.


S'attaquant pour la première fois au genre de la science-fiction, il décide de faire comme à sont habitude et s'approprier le sujet d'une manière que l'on ne s'attendait pas. Ici il s'intéresse avant tout à l'humain, au concret et à un sens aigu du réel. Le film prend très vite des accents fantastiques plutôt qu'un pur tournant SF, Nichols instaurant petit à petit l'étrange dans une situation très ancrée dans la réalité. Il évacue les questionnements et surtout les réponses qui entoure ces phénomènes "paranormaux" qui entoure l'enfant avec intelligence, évitant de tomber dans des explications qui aurait pu être décevante et permettant ainsi au spectateur de s'approprier le film et d'en faire ses propres interrogations, ne diluant jamais son aura de mystère. Au final se qui l'intéresse ici est avant tout le lien paternel et la croyance, qu'elle soit du père envers son fils, des hommes envers quelque chose de plus grand et des spectateurs envers le film. Tout ce joue sur plusieurs dimensions, faisant sens avec le récit et apportant une couche métaphorique habile et passionnante qui permet d'aborder une masse folle de sujet sans que le film ne se perde jamais, Nichols trouvant un équilibre presque miraculeux pour faire avancer son film. L'intrigue est relativement simple et clair, prenant la structure d'un road-movie, distillant intelligemment ses enjeux et évacuant l'opacité initial de l'histoire avec brio. Nous lançant directement dans l'action, le scénario va nous éclairer petit à petit sur la place des personnages et sur ce en quoi retourne cette histoire avec subtilité et grâce, évitant les dialogues lourds et envahissants. Il nous expliquera, sans détour mais sans trop insisté, les événements obscurs d'une scène au sein de la suivante, composant son récit pour que chaque séquences répondent à la précédente et pour que chaque thématiques s'entrechoquent. La manière de penser le récit se montre donc incroyablement brillante, permettant un tout dense et profond.
De manière symbolique le film va traiter de la maladie de l'enfant, du besoin de l'accepter et de croire en son enfant, qui est la seule chose divine d'une vie. C'est quelque chose de très universel et de mélancolique qui travers le film de Nichols, qui préfère jouer sur les émotions à travers les non-dits et les regards plutôt que sur les démonstrations abusives. Il traite de sujets grave à demi-mots, parvenant à être déchirant quand on réalise toute l'étendue de ses questionnements qui vont de la mortalité et le fait de devoir se confronter à sa fatalité, la quête de quelque chose de meilleur, l'échec, la conviction et surtout les points de vues. Ici il n'y a ni méchants ni gentils, juste des hommes qui se confrontent car ils sont un regard différent sur une même situation, la vérité vient de celui qui à le plus de croyance, étant aussi aveugle qu'éclairer. En ça les personnage se montreront très intéressant, car il décide de croire plutôt que de comprendre, parlant du fanatisme et de ses limites. Chacun ayant une fonction symbolique, même si parfois cela entache leur aspect narratif, comme pour le personnage de la mère qui au sein du récit parait quelque peu détaché et n'est justifié que par sa dimension métaphorique. C'est parfois le problème des films qui ont pour but de raconter quelque chose qui dépasse le récit mais ici le problème ne devient pas si envahissant.
Surtout grâce à l'excellence du casting qui parvient sans mal à donner encore plus d'épaisseur à leurs personnages. Michael Shannon est encore une fois parfait. Il joue pour la 4ème fois avec Jeff Nichols, et celui-ci parvient encore à le mener sur des registres différents. Ici bien plus calme et posé que dans ses précédentes interprétations, l'acteur s'impose en force de la nature, il est d'une justesse incroyable et parvient à transmettre la conviction et les troubles de ce père par la seule force de son regard. Joel Edgerton surprend lui aussi, prouvant être un acteur émotif d'une sincérité admirable alors qu'il est plus habitué aux rôles monolithiques. Kirsten Dunst est excellente, s'imposant comme la voix de la raison, elle joue son rôle avec beaucoup de subtilités et de convictions. Son personnage étant plus orienté vers le savoir que la croyance faisant un joli écho avec le rôle de Jaeden Lieberher, jeune acteur prodigieux qui est définitivement à suivre. On regrettera peut être la sous exploitation de Sam Shepard, toujours impeccable, mais cela permet au moins à Adam Driver de venir briller avec son immense talent. L'acteur commence vraiment à percer et est comme à son habitude parfait.
La réalisation est sublime, par son intelligence et sa maîtrise. Tout d'abord on est accompagné tout du long par une photographie somptueuse, jouant habillement des effets d'obscurités et de lumières, symbolisant l’ignorance et la croyance, et d'une musique brillante, inspirée et souvent galvanisante qui nous renvoie quelques peu aux sons synthétiques de John Carpenter. Le montage trouve un équilibre habile entre montées d'adrénalines et moments de calme, donnant au film un rythme lent mais dénué de longueurs. La mise en scène de Jeff Nichols est tout simplement virtuose, que se soit dans sa manière de composé les plans, jouant et surtout déjouant les expectations du spectateurs, et qui prend de plus en plus d'ampleurs au fur et à mesure du parcours des personnages. Commençant de manière très terre à terre et viscérale, elle va devenir de plus en plus aériennes et allégoriques à l'approche de la fin, symbolisant l'ouverture d'esprit des personnages. Il crée aussi un univers visuel riche et bien pensé, au milieu de l'ignorance, la croyance et le savoir il trouve des moyens intelligents de mettre ces choses en images. Le fait que la lumière du savoir sorte des yeux de l'enfant n'est pas anodin, et que cette lumière soit aveuglante non plus, jouant sur l'artificialité de la vérité et sur l'aveuglement de la croyance et parfois même du savoir. Jeff Nichols compose vraiment quelque chose de fascinant auquel il faut plusieurs visionnages pour en saisir tout l'ampleur et la densité. Surtout que plus par ses fulgurances symboliques, ils signent vraiment des moments de cinéma incroyables et jamais vu pour de la SF, s'imposant dans l'hommage discret aux cinéma des années 80 et à ses aînés, on pense à Carpenter et Spielberg par exemple, mais aussi par une envie abouti d'aller de l'avant et proposer quelque chose de nouveau pour un genre qui s'enlise.


En conclusion Midnight Special est un magnifique chef d'oeuvre. Une proposition de cinéma incroyable, galvanisante et d'une densité folle. Même si elle à ses petits défauts, ils ne pèsent pas lourd lorsque l'on prend conscience de l'intelligence et de la virtuosité avec lesquelles Jeff Nichols à pensé et mis en scène son récit. On a pas vu quelque chose d'aussi inventif et abouti dans le cinéma de science-fiction depuis près de 10 ans. Etant aussi l'hommage le plus réussi du cinéma des années 80 parvenant à en y retrouver l'essence et parvenant à l'imprégner d'une forte charge mélancolique qui pousse à la rêverie et à l'émerveillement. C'est une oeuvre rare, forte et précieuse qui est voué à devenir culte tout comme Nichols est voué à devenir un grand du 7ème art. Magnifiquement joué, brillamment écrit et mis en scène avec virtuosité, Midnight Special arrive à travers toute sa complexité, à être simplement une oeuvre bouleversante et indispensable.

Frédéric_Perrinot
10

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le 23 mars 2016

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