C'est un critique malheureux qui prend la plume. Malheureux parce que l'orgasme filmique amorcé ne s'est pas produit. Malheureux parce que la promesse de caresser une époque révolue (celle des prods Amblin et de Starman de Carpenter) est à moitié tenue. Malheureux parce que le genre n'est pas assez étreint. Malheureux parce que Nichols s'éteint scénaristiquement dans son dernier tiers.


"Midnight spécial" est un peu la somme des thèmes abordés par le réalisateur depuis "Take Shelter: Couples en crise, passage à l'âge adulte, incursion de phénomènes étranges au sein du quotidien et of course fuite en avant des protagonistes. On reconnaîtra ici les thèmes chers à Spielberg que la presse a rapidement attribué à Nichols le désignant par la suite comme son plus fidèle héritier. A noter que Shyamalan était déjà passé par là mais également Abrams.


Ressasser à nouveau les dysfonctionnements familiaux ou évoquer la patte auteurisante du metteur en scène via les orientations sociales de nos héros (des américains moyens comme il se doit) assurerait une redite avec l'œuvre maintes fois analysées de Spielberg depuis "Duel". On remarquera tout de même les doublons fort appréciables entre le personnage joué par MIchael Shannon prénommé "Roy"à celui joué par Richard Dreyfuss (Roy Neary) dans "Rencontres du troisième type". Nichols ira plus loin en attribuant à Adam Driver un nom de famille à consonance française rappelant l'inévitable Professeur Lacombe incarné par François Truffaut.


La base référentielle est solide mais le récit parsemé de menus défauts. Ellipses aléatoires entraînant quelques incompréhensions, personnages secondaires inodores et surtout l'incroyable distance du cinéaste incapable de livrer un climax émotionnel à contrario de la dernière bobine de "Take shelter". Frilosité ou humilité excessive, Nichols cinéaste indé de par ses origines joue la carte de la sobriété au risque de frustrer son spectateur. Dommage. Toutefois, la source de plaisir émanera de la propension du cinéaste à injecter les mythes et légendes au coeur même de son histoire. Un tel engouement pour son matériau atteste de la bonne foi d'un cinéaste qui a aucun moment ne servira la soupe aux geeks.


Si la face immergée de l'iceberg est vacillante, le métrage va se révéler passionnant dans un sous-texte nourrit de pop culture et de mythologie. "Midnight spécial"est certainement la plus belle incarnation des origines de Kal-el alias Superman, créature humanoïde extrêmement proche de l'homme exceptée dans sa densité musculaire. Créé en 1933 par Joe Shuster et Jerry Siegel, le Kryptonien connait un parcours sensiblement proche de celui du Christ. Voir en Superman le messie envoyé par Jor-el pour sauver les hommes n'a en effet rien d'étrange. Le souhait d'associer l'hypothèse d'une croyance religieuse se rattachant non plus à une divinité mais à des êtres dont les capacités mentales et physiques sont supérieures aux terriens viennent nourrir de manière plausible l'idée d'un au-delà. Le film de Nichols prend donc pour témoin des hommes interrogés par le FBI témoignant des visions d'un "enfant-Messie" aux yeux de lumière. Très habilement, le cinéaste plie le film à sa volonté en faisant converger deux points essentiels : Celui d'une croyance faite de théories rationnelles et celui d'une adoration pour le comic book et en particulier pour le fils de Krypton.
Libre à chacun d'appréhender cette thématique plutôt excitante ou alors de la bazarder.


Si l'on décide de franchir le cap et d'y croire (le merveilleux de Spielberg,encore !) le parallèle évoqué avec Superman rend le métrage incroyablement magnétique. Roy, père de Alton, fuit sur les routes américaines protégeant son enfant afin d'accomplir sa mission. Contre les autorités et l'ordre établit, il n'aura de cesse d'avancer et d'offrir un destin à son fils à l'instar de Jor-el. Si l'on s'appuie sur le prologue du film de Richard Donner (Superman the movie) Jor-el (Marlon Brando) voyant son monde s'écrouler tant physiquement que politiquement installe son fils dans un cocon de quartz épineux (la couronne ?) avant de l'expédier sur la planète bleue. Outre le fait de traiter du thème de la paternité, la destinée des deux enfants messianiques se croisent de la manière la plus évidente qui soit. Alton peu acclimaté au monde extérieur découvre une bande dessinée où le héros n'est autre que...Superman. "Qu'est-ce que la Kryptonite ?" demande-t-il à son père. Le lien indéfectible entre l'enfant et le superhéros ne fera que se confirmer dans certaines des plus belles scènes du film et situées durant la première heure. Sans surinterpréter la corrélation évidente entre Alton et Kal-el, Nichols a dissimulé quelques "ester eggs"attestant de la filiation entre les deux personnages. Ce lien à la fois représentatif et annonciateur du caractère n'est autre que la couleur bleu. En occident, le bleu connote la sagesse, la maîtrise et le respect. Il est est aussi associé à la pureté et offre une idée de l'infini... C'est dans cette perspective que le costume de Superman a été créé. Bien que constitué d'une cape rouge, le bleu y est la dominante permettant à la silhouette de se découper allègrement dans les cases de la BD ou d'atteindre une cinégenie parfaite dans les plans du film de Donner. Toujours polarisé sur l'identité visuelle de son film, Nichols applique le fameux code couleur dans les cadres les plus emblématiques de son film. Les lunettes cerclées de bleu de Alton ou encore L'ENTIÈRE famille dont l'ensemble des habits sont bleus. Un plan révélateur insiste sur la fusion parfaite des trois membres révélant la couleur pré-dominante.


L'astre solaire symbolise quand à lui la force puisée par les deux personnages. Si Superman en tire tous ses pouvoirs, il semble également avoir une incidence sur le comportement de Alton.


Une fois encore, les corps célestes sont à l'honneur et il n'est pas difficile de décrypter les croyances de Nichols. Ni réellement croyant et encore moins athée, le réalisateur livre une pensée agnostique. Le refus de trancher sur la possibilité du Divin prend ici les formes d'un "enfant-Dieu" destiné à retourner dans un monde inconnu des hommes. Une réponse qui appelle tant de questions à travers un divertissement intelligent et finalement riche de contenu.


Pour ceux qui douteraient encore :


KAL-EL KRYPTON
AL TON


7/10


SECONDE VISION (revu un an plus tard)


Il y a les mystères de la seconde vision. Cette impression unique d'avoir assisté à une meilleure représentation gommant les ellipses rugueuses, la retenue excessive. Le film de Nichols est un pas en avant et un regard en arrière. Le plaisir des "Starman" et "Rencontre du troisième type" où les soleils couchant annoncent des nuits profondes et où l'asphalte est foulée par des Dodge puissantes. L'héritage est là, repris avec subtilité et se passe de l'analyse habituelle. La magie du cinéma. Revoir ce film loin de l'excitation de la sortie en grande pompe. Assurément l'un des plus beaux moments de Cinéma de cette année 2017. C'est rare et c'est beau.


8,5/10

Star-Lord09
8
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le 16 mars 2016

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