Le problème de la science-fiction récente ne réside pas tant dans sa qualité que dans sa capacité à créer quelque chose de réellement touchant et efficace. Malgré la maîtrise indéniable du genre d'Abrams ou Nolan, il subsiste dans Super 8 ou Interstellar une forme de stérilité, d'incapacité à réellement revenir à ce qui fait l'essence des grands films du genre pour au final aboutir à quelque chose d'assez vain. La grande force des grands films du genre (au hasard, les Carpenter et Spielberg des années 80, inspiration assumée de Nichols) réside dans leur capacité à traiter des lisières du réel avec une forme de simplicité décomplexée et détachée de toute influence adulte. Midnight special est peut être le premier film depuis Primer à réellement parvenir à renouer avec ce qui fait la force du genre.


A première vue, il pouvait sembler incongru pour Jeff Nichols de s'enfoncer dans le domaine de la science-fiction tant ses films précédents semblaient s'ancrer dans une mythologie sudiste certes déviante mais bel et bien ancrée dans le réel. Pourtant, dès les premières images de Midnight Special, la magie opère: à partir de trois fois rien, Nichols recrée un imaginaire fort sans réellement avoir besoin de le justifier. Sans pour autant s'éloigner du sud des Etats-Unis, Nichols parvient à créer une toute autre réalité, où la rareté du fait paranormal le rend d'autant plus puissant et poétique. Ce qui touche avant tout dans Midnight Special, ce n'est pas tant l'étrange que le familier: la volonté obsessive d'un père de protéger son fils du monde extérieur menaçant. Si cette relation était déjà au coeur des deux précédents long-métrages de Nichols, c'est peut être dans Midnight Special qu'elle est la plus juste et la plus touchante, tant elle s'ancre dans une véritable urgence pour des personnages placés dans une situation qui les dépasse.


Il n'y a pas ici de véritable volonté de renverser les carcans d'un genre, mais plutôt d'une forme de sublimation des enjeux traditionnels d'un récit somme toute assez classique. Plutôt que d'expliquer, Nichols se contente de montrer, immisçant peu à peu des images incroyablement forte dans un univers filmique qu'il maîtrise à la perfection.


Jusqu'à une conclusion absolument incroyable, où les visions de l'enfant se matérialisent enfin dans un geste éphémère: d'immenses constructions escheriennes se déploient au dessus d'un bayou qui pourrait très bien être celui de Mud, avant de s'évaporer au bout de quelques secondes.


Cette vision incroyable est l'apothéose du film dans son ensemble: une image éphémère d'une beauté transcendantale mais d'une grande simplicité. Midnight Special ne donne pas de réponse, n'invente rien, mais transcende la simple qualité de son récit pour créer un univers marquant dans ce qui est peut être l'un des plus beaux gestes de cinéma de ces dernières années.

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le 16 mars 2016

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