L’horreur est un genre qui à la vie dure mais qui n’est pas du tout à plaindre. L’offre étant grande, et le genre en très bonne santé en terme de box office, extrêmement populaire, on serait tenté de se réjouir et de crier victoire mais, tel le héros d’un slasher se pensant en toute sécurité dans son nouveau refuge, c’est sans crier garde que l’on s'aperçoit que l’objet de notre angoisse est en fait juste derrière nous.
Certes, les suites et les nouvelles franchises pullulent mais encore faut-il aimer la barquette réchauffée de la veille pour se satisfaire d’une telle offre tant ce qu’on nous propose est sans saveurs autres que celle de faire froid dans le dos. Ceci étant dit, un film préparé derrière les fagots à réussit à se faire remarquer: Hereditary. En outre des courts-métrages fait auparavant, c’est comme ça que le nom de Ari Aster à commencer à circuler et à se détacher de la masse de films d’horreurs génériques et putassiers. Celui-ci ne continue pas de tirer sur les ficelles de la facilité horrifique et celui-ci a un style bien à lui.


Midsommar, son dernier né, continue d’esquisser une oeuvre complète et cohérente traversée par les mêmes angoisses, notamment et particulièrement la filiation dans la malédiction, une sorte d’horreur fataliste qui serait inscrite dans nos gênes et dont la seule façon d’en échapper serait la confrontation direct. Entre d’autres termes, il faudrait assumer son rôle ancestrale pour le dépasser, ou en tout cas tenter de le dépasser vu qu’il y a vraiment l’idée de la fatalité héréditée dans ses films, sujet aussi traité dans l’excellente série The haunting of Hill House la même année. La famille, ça fait peur: CQFD.
Dans “rôle ancestrale”, il y a “rôle”, et c’est aussi une chose très importante. Vision pessimiste de la famille, pragmatique diront certains, Ari Aster s’amuse à mêler des relations notamment familiales complexes où l’on fait semblant de s’apprécier et une sorte de théâtre de la vie fait de rites, de traditions, de symboles, de tout un héritage nous dictant quoi faire, appuyé dans son premier film par la maison de poupée, et dans celui qui nous intéresse ici par un panneau d’introduction servant à annoncer une vraie mythologie millénaires où chaque personnage à une place à jouer. L’idée, donc, de quelque chose qui nous dépasserait tous, plus grand encore que l’existence. Pour ceci, le réalisateur n’hésite pas à rendre ses personnages minuscules à l’image et au milieu des décors, impuissants, notamment à l’aide de grand angle, et à oser des plans zénithaux (vu de très haut au dessus d’eux, birds eye view disent les anglophones), ceux ci appuyant l’idée d’une entité supérieure regardant des fourmis, ou alors d’un gosse jouant avec ses jouets articulés. Au regard de cet héritage, nous sommes peu de chose.


Après avoir montrer la futilité de l’existence humaine, la violence apparaît comme légitime, ou en tout cas banalisée. Elle est aussi impersonnelle: “je n’ai rien contre toi, je ne te veux pas de mal, je te veux même du bien. Par contre, ça va faire mal”. Sorte de passif ultra agressif où un rien devient un tout. De fait, un sourire devient terrifiant et une personnage âgée faisant un signe de la main de l’autre côté de la route vous tétanise, créant un climat paranoïaque où l’on est prêt à remettre n’importe qui en doute.


Chez Aster, la violence première est celle d’un choc émotionnel très très lourd dû à la perte d’un proche et venant surplomber un climat relationnel compliqué: la perte de la grand mère dans Hereditary, et l’éloignement du couple dans Midsommar. Ce choc à 2 effets: d’une part, il vient agenouiller le personnage, ne lui donnant plus aucune raison de vivre (on se souvient du “I just want to die” de la mère dans le premier film) et le rendant amorphe, limite stoïque, incapable de toute chaleur ou tous sentiments humains.


Mention spéciale pour un effet de mise en scène, entre autre, qu’il utilise très bien dans les 2 films: le personnage ne bouge pas dans le cadre, même après un cut indiquant une ellipse, illustrant son obsession, volontaire ou non, pour ce qu’il vient d’apprendre. Dans Midsommar, la volonté de Josh d’avoir des photos du livre sacré et dans Hereditary, le fait d’avoir communiqué avec l’esprit de sa soeur.


En effet, ici, plus le choc est grand et plus l’incapacité est grande, l’absence de réaction étant la réaction la plus logique devant tant de détresse. D’autre part, le choc émotionnel apparaît comme annonciateur du pire: arrivant tôt dans le film, il installe le spectateur dans un climat de terreur constant.
À ça, s’ajoute le travail fait sur l’ambiance sonore (bourdonnements et autres sons stridents) venant isoler ou traduire une surcharge mentale, l’utilisation de l’arrière plan et du hors champ appuyant l’aspect paranoïaque et la profondeur de champs venant isolé le personnage, le déconnectant totalement du monde extérieur.


Ce malaise ressenti est cela dit toujours une histoire de perception, façon de mêler la souffrance personnel à l’indifférence générale. Rien ne va plus dans le monde mais personne ne le voit. On porte sa croix seul. On souffre à la première personne. C’est un des socles de Hereditary. Dans Midsommar, la tentative de partager la souffrance rend la chose encore plus ignoble. Le spectateur et l'héroïne, couronnée au rang de Queen of may, en savent quelque chose après avoir visionné la scène où ses servantes mimiques ses cris de douleurs, multipliant simplement la terreur ressenti par le personnage.
Heureusement pour certains, notamment les femmes, la victime devient parfois un bourreau, particulièrement quand elle accepte son rôle au sein du grand échiquier. Seul moyen d’arrêter ces monstruosités: jouer le jeu, devenir un démon soit même, rejeter son humanité qui n’est manifestement que souffrance.


La violence est mentale mais elle est aussi physique. Le choc psychologique sert de lit au chocs visuels qui viennent s’ajouter à une horreur capable de prendre toutes les formes, achevant le spectateur. Ces images, particulièrement graphiques où rien ne nous est caché, seront utilisées avec modération à des moments clés et surtout, ré-utilisées à d‘autres: l’image dégoute en elle même mais son souvenir est d’autant plus grave, venant littéralement hanter les personnages. Ainsi, la violence est rarement visuelle mais quand elle l’est, on la voit très clairement, et c’est à la fois assez pervers et satisfaisant: le dosage fait qu’on n’est pas dans un Splatter movie où le sang gicle de partout et en même temps, on en a pour notre argent.
Aussi, l’utilisation de la nudité dans tout ce qu’elle a de plus disgracieux participe à cette entreprise de déstabilisation visuelle. Le décalage entre les situations et à l’apparition soudaine de ces corps dans tout ce qu’ils ont de plus brut renforcent ce malaise étrange où la peur surgit de l’innocence, d’où aussi l’importance de la monstruosité chez les enfants. Personne n’est épargné mais il y a aussi l’idée de plus on souffre, plus on va avoir de pouvoir, plus on va avoir l'opportunité d’arrêter ses souffrances à réalisant sa destiné.


Ce fond est évidemment sublimé par une forme de maestro. Ari Aster à compris que les plans longs, fixes, et une caméra qui bouge lentement participe bien plus au suspense que les plans ultra cuttés de 2 sec, surtout quand cette dernière panotte pour révéler ce qui se cache derrière le personnage.
Midsommar est un peu plus ambitieux dans ses mouvements d’appareils, faisant de longs travellings d’accompagnement de personnages mais l’âme en reste la même: on prend son temps, on s’attarde sur la psyché des personnages grâce aux gros plans, ainsi qu’aux relations qu’ils entretiennent. En effet, c’est peut-être même la plus grande force du réalisateur: filmer la complexité des relations humaines. C’est extrêmement frappant dans toute la première partie de du film, avant même qu’ils partent en Suède, où la valeur de plan, la profondeur de champs et même le cadre (ou surcadrage, grâce à un miroir par exemple) sont utilisés pour illustrer une proximité, un intérêt ou alors à l’inverse un froid entre les protagonistes, et ce dans des scènes de vie en communauté: un dîner de famille où la rancœur a dépassé la convivialité, ou une discussion d’un couple dépourvue de toute intimité.


Que dire si ce n’est qu’on va attendre son prochain film avec impatience? A l’air où le cinéma hollywoodien grand public s’en met pleins les poches, où les plateformes de streaming s’apprêtent malheureusement à mettre les salles obscures au chômage, et où cinéma d’auteur rime avec bobo parisien chiant, des œuvres comme celle proposée par Ari Aster viennent soulager le spectateur en prise au désespoir, et s’ajouter à la liste modeste des réalisateurs contemporains à suivre. Véritable metteur en scène de la subtilité, ayant su en 2 films créer une identité visuelle personnelle grâce à la fois à un style classique et des moments géniaux d’inventivité, on ne peut que se réjouir en voyant quelqu’un maîtriser autant les outils de son médium.

Ghettoyaco
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le 6 août 2019

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