2018, Hérédité sort en salle. Un film ayant l’ambition de réinventer le genre de l’horreur, ou du moins de bousculer ses codes. Dans le film de Ari Aster, les jumpscares et la tension sont mis en retrait, et le malaise et l’ambiance sont mis sous le feu des projecteurs. Hérédité brillait particulièrement grâce à ses personnages si humains, imparfaits et vulnérables, mais surtout grâce à son ambiance, nous mettant dans un état de malaise quasi-constant rendant certaines scènes particulièrement difficiles à regarder même si elles sont loin du registre habituel de l’horreur (la scène de diner/confession, le fils qui retourne se coucher après la tragédie). Malheureusement le film laissait un arrière-goût amer notamment dû à son final grotesque essayant de rattacher maladroitement les wagons de l’intrigue. Un final plus absurde qu’effrayant qui nous laissait sur notre faim. Malgré tout le film a marqué les esprits et a beaucoup fait parler de lui tant il proposait une expérience nouvelle et surtout prouvait que le genre horrifique pouvait faire plus que simplement tenter de nous faire peur, et qu’il avait de beaux jours devant lui.
Ari Aster ne nous laisse alors pas le temps de digérer son précédent film et sort Midsommar, juste un an plus tard. Et une chose est sûre, le réalisateur ne comptait pas se réinventer, mais bien peaufiner son style, pousser ses réflexions et continuer à nous faire vivre sa propre définition de l’horreur. Sur ce point on peut dire que Ari Aster a réussi. Midsommar ressemble à une version 2.0 de Hérédité, sur les bons points comme sur les mauvais.


À l’instar de son prédécesseur, Midsommar est un film sur le deuil et sur la famille. Le personnage principal, Dani, vient de subir la perte de sa famille (dans une scène d’introduction magistrale, sans doute la meilleure du film) et son petit ami Christian qui comptait la quitter ne peut alors pas se résoudre à l’abandonner et reste donc avec elle, non pas par amour mais par pure culpabilité. Christian l’emmène donc avec son groupe d’amis dans un village isolé en Suède pour assister à un festival ayant lieu tous les 90 ans. La présence de Dani n’est désirée ni par Christian, ni par ses amis et elle se sent donc mise à l’écart, rejetée. Elle est cependant accueillie par ce village et surtout par Pelle, un membre du groupe qui lui est originaire de ce même village. Le développement du personnage de Dani va donc s’axer sur sa recherche d’acceptation, et l’assouvissement de son besoin de faire de nouveau partie d’un groupe, d’une famille. Mais ce développement est finalement très maladroit, notamment dû à l’absurdité totale de l’intrigue.
Alors il est vrai que Midsommar est avant tout un film qui se ressent, et l’intrigue peut sembler secondaire, voir complétement anodine. En effet la mise en scène est très maitrisée. Ari Aster prend son temps quand il le faut, arrive à mettre mal à l’aise (ce qui semble être son but principal) pendant toute la durée du film grâce à une ambiance soigneusement pensée. Le fait que tout se déroule de jour est très déroutant, cela met les personnages dans une vulnérabilité constante contrairement à des films d’horreurs plus classiques dans les lesquels jour = tout va bien et nuit = danger. Les personnages sont souvent placés au centre de l’image avec une très courte focale, renforçant leur solitude dans un monde complétement inconnu. La musique également est très déstabilisante, presque irritante et pénible à écouter. Ari Aster nous sort complétement de notre zone de confort et nous montre l’étendue de ses talents de réalisateur.


Le problème c’est que Ari Aster est aussi bon réalisateur qu’il est mauvais scénariste. Et toutes les sensations et les émotions qu’il parvient à nous faire ressentir tout au long du film sont presque immédiatement désamorcés par des pirouettes scénaristiques grotesque. Un des soucis d’écriture récurrent du genre de l’horreur est de réussir à mettre les personnages dans une situation dangereuse à des moments où des êtres humains normalement constitués prendraient leurs jambes à leur cou. On connait tous le cliché des personnages qui se séparent, ou qui vont inspecter un bruit étrange, seul la nuit alors que tous leurs amis ont été brutalement assassinés quelques heures plus tôt. Et ce cliché est poussé à son paroxysme dans Midsommar. « Ne t’inquiète pas, ton fiancé a disparu parce qu’on l’a déposé à la gare, vient avec nous on va t’y déposer aussi. » « Votre ami a disparu ? Il nous a sans doute volé quelque chose avant de s’enfuir. » Et j’en passe. Toutes les scènes malaisantes, effrayantes, glauques, sont immédiatement désamorcées par ses absurdités sorties par les membres du village pour déjouer la méfiance des personnages. Si Ari Aster se bloque lui-même dans ce schéma, c’est parce que les personnages ne peuvent pas être méfiants pour le bon déroulement de l’histoire. Sinon jamais un personnage n’accepterait sciemment de se droguer dans cet environnement, ou de sortir en douce la nuit pour faire quelque chose de clairement interdit etc… Le paradoxe du film est donc de mener les personnages dans des scènes chocs ou dans des scènes de malaise dans lesquels on peut clairement sentir que quelque chose ne tourne pas rond dans cette communauté, à l’apothéose du style de Ari Aster, mais de ne jamais les mettre sur leurs gardes à un point qui en devient presque risible. Tous les personnages ? Tous sauf Dani, le personnage principal, et c’est là que le film perd ce qui lui restait de crédibilité.


Le développement de Dani donc repose sur sa recherche d’acceptation, de son besoin d’appartenance à un groupe. Dani est clairement le personnage le plus accepté par la communauté et elle est constamment rassurée et épaulée par Pelle, le personnage qui a amené le groupe dans son village. Pourtant, dans le groupe d’amis, elle est la seule à se méfier, à dire que quelque chose ne va pas, à être sur ses gardes. Contrairement aux autres, elle ne croit pas à tous les mensonges, elle ne prétend pas que tout ce qu’il se passe est normal. Et même si elle semble acceptée par la communauté, elle tente durant tout le film de prendre ses distances avec ce groupe clairement malsain. Or le développement de Dani doit la mener à prendre une place dans ce groupe, seul endroit où elle semble être la bienvenue. Dans les faits on se retrouve donc avec un personnage qui, au lieu de s’intégrer petit à petit à la communauté, s’en éloigne, en a peur jusqu’au cinq dernières minutes où elle va d’un coup faire complétement l’inverse. À la fin, en tant que Reine de Mai du festival, elle va devoir choisir une dernière personne à sacrifier. Dani comprenant donc forcément que tous les autres membres du groupe sont morts, mais qu’en plus c’est la raison même pour laquelle ils ont été attirés ici, va choisir de sacrifier son petit ami au lieu d’un membre du culte qui, en plus d’être un inconnu, est surtout un complice des atrocités s’étant déroulées durant le festival. Néanmoins cette décision aurait pu être l’aboutissement de son développement, une façon non seulement de se détacher de son ancienne vie (Christian étant sa dernière attache) mais aussi de se venger de la façon dont cet homme l’a traité, contrairement au village qui l’accepte à sa juste valeur. Mais ce n’est pas ce que nous montre le film. En effet à un moment où la méfiance de Dani envers le village était encore au plus haut, Christian, drogué par le village, couche avec une membre de la communauté sous les regards des matriarches, nues et jouissant de concert. Dani est évidemment témoin de cet événement et son choix final semble être plus une vengeance de cette tromperie qu’autre chose, ce qui dessert complétement le propos du film. Et on se retrouve presque à être désolé pour Christian, qui se fait violer par la communauté et qui se retrouve à être sacrifié par sa petite amie à cause de cela. La fin du développement de Dani tombe à plat, et le film passe à côté de son sujet. À quoi bon nous montrer à quel point Dani est seule, rejetée, à quoi bon nous montrer à quel point elle a tout perdu si ce n’est pas la raison pour laquelle elle finit par intégrer cette communauté ?


C’est vraiment dommage de voir le film rater complétement tout ce qu’il essaie d’entreprendre à cause d’une intrigue grotesque qui aurait peut-être pu éviter avec quelques changements. Une des grandes forces de Ari Aster lorsqu’il créé l’ambiance d’un film est de faire réagir les personnages de la manière la plus banale possible aux évènements les plus atroces (la scène de l’accident et sa suite sont les moments les plus marquants de Hérédité). Et si cela créé le malaise dans Midsommar, lorsque la communauté est impassible devant des spectacles horribles, se déroulant en plein jour et devant témoins, les meilleurs moments du film, c’est aussi en essayant de forcer ces situations que Ari Aster se prend les pieds dans le tapis et coince lui-même son intrigue. Finalement le malaise est encore plus malaisant, mais l’absurdité est encore plus absurde, l’horrifique tourne au comique, et le film passe à côté de ses ambitions et de ses thèmes. Malgré cela j’attends avec impatience le prochain film de Ari Aster, mais d’ici là j’espère qu’il trouvera le bon scénariste avec qui travailler, pour développer encore plus ses talents et ses points forts, et définitivement laisser de côté sa grande faiblesse : l’écriture.

McMorbid
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le 8 sept. 2020

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