Dans cette charge d'Henri Verneuil contre le pouvoir croissant des multinationales, on constate un paradoxe flagrant entre la modernité du propos et la naïveté du récit, truffé d'invraisemblances ; entre la pertinence de la dénonciation (vraiment prémonitoire à certains égards) et la pauvreté des solutions évoquées.


En gros, Verneuil prône le retour au protectionnisme, à des valeurs terriennes - à l'image du plan de la fenêtre de l'hôtel lors de la séquence finale, qui laisse apparaître un beau paysage de la campagne française intemporelle, avec le clocher au milieu du village et le chant des oiseaux au matin.


Le réalisateur (également scénariste et dialoguiste ici) ne dénonce pas le système capitaliste en tant que tel, mais réclame un retour au capitalisme d'antan, patriote et paternaliste.
Au-delà des convictions de chacun, on peut estimer que la charge politique du film se voit nettement affaiblie par cette vision simpliste et un brin manichéenne.


C'est d'autant plus regrettable que "Mille milliards de dollars" se montre bien documenté et souvent remarquable dans sa démonstration. Nous sommes alors en 1982, et la suite des évènements n'a fait qu'entériner la plupart des observations de Verneuil : ne serait-ce que pour cet aspect, le film mérite une certaine indulgence, d'autant que la mise en scène s'avère de bonne facture.


D'autre part, et de manière beaucoup plus subjective, j'ai une affection particulière pour le cinéma français de cette période, au cours de laquelle des réalisateurs reconnus étaient capable de mêler au divertissement grand public une certaine exigence intellectuelle.
A cet égard, j'ai pris un réel plaisir à suivre "Mille milliards de dollars", même s'il ne s'agit pas d'un fleuron du genre, lesté par ses invraisemblances, ses dialogues lourdauds et son interprétation inégale.


Parmi la foule de seconds rôles présents au générique, on apprécie de croiser Caroline Cellier en ex-femme indécise du héros, Jean-Pierre Kalfon en indicateur trouble, ou encore Jeanne Moreau en vieille épouse délaissée, mais on restera plus réservé sur la prestation empruntée de Charles Denner en détective privé.
Surtout, je n'ai pas été particulièrement séduit par Patrick Dewaere en journaliste d'investigation ambitieux et têtu : celui qui brillait dans des rôles décalés ("Paradis pour tous") ou borderline ("Série noire") ne convainc pas vraiment en gendre idéal, bon père et ex-mari sentimental.


En dépit de ses défauts, "Mille milliards de dollars" reste un film plaisant, à la croisée du divertissement intelligent et du pamphlet politico-économique, qui incarne bien la nature profonde du cinéma d'Henri Verneuil, partagé entre audace et conservatisme.

Créée

le 30 mars 2017

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Val_Cancun

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