Expérience magique : voir le film au UGC de odéon, séance de 22h si possible, histoire de sortir à midnight. Le film s'ouvre sur un diaporama d'images de vacances de touristes friqués à Paris, qui auraient eu le bon goût de pas taper la pose sur les photos. Et entre deux images de rues qu'on a déjà vues dix mille fois pour peu qu'on ait déjà donné un RDV à « Saint-Michel », un plan sur le UGC de Odéon. Rires dans la salle. Je ris aussi, c'est la première fois que je me vois au cinéma.
Masturbation phénoménale pour les parisiens. Midnight in Paris, c'est quand même l'histoire d'un gars qui veut devenir romancier (identification : OK) et qui ne veut surtout pas retourner chez lui en Californie, parce que Paris, c'est tellement mieux (orgasme : OK).
Mais, à la limite, c'est assez intéressant : c'est un film qui réfléchit à son public, et il peut y avoir deux lectures radicalement différentes, celle du parisien, qui connaît et se laisse caresser, et celle de l'américain, qui se laisse embaumer et commande illico un billet pour Paris, ou bien qui se dit éventuellement qu'il est bien content d'avoir vu comment est Paris, c'est bien à ça que servent les films, et qui reste chez lui. Sage raisonnement pour ce dernier, mais il ferait mieux de commander lui aussi son billet, parce que Paris, c'est bien sûr beaucoup plus que ce qui est montré sur ces pauvres images affectueuses des quartiers riches (on voit marqué « Dior » sur un plan sur trois) : c'est aussi la déprime de la grisaille, les heureux moments du métro, avec des gens authentiques, parfois même des filles qui entrent en pleurant, ou bien... (mais je m'arrête avant d'être tentée d'écrire un haïku sur chaque rue pourrie dans laquelle j'ai aimé marcher – d'ailleurs, je suis en accord avec le héros, lorsqu'il dit que « chaque rue est une forme d'expression artistique en soi », mais d'une part, pour lui, chaque rue c'est visiblement « chaque rue du 5e ou du 9e arrondissement », et d'autre part, cette remarque s'applique à beaucoup de rues, c'est donc juste une façon emphatique de dire que déambuler est formidable, rien de bien nouveau.)

J'ai omis de préciser que notre héros, ce romancier wannabe, avait quelques petits troubles d'imagination, ATTENTION SPOILER A PARTIR DE MAINTENANT. Il se retrouve donc, tel Cendrillon, emporté chaque nuit dans un carrosse qui l'amène dans les années 20, à la rencontre de Scott Fitzgerald, Cole Porter, Ernest Hemingway, Salvador Dali, Gertrude Stein, Pablo Picasso, Luis Buñuel, Man Ray et consorts. A la longueur de cette liste, vous pouvez imaginer la lourdeur du gag. « Enchanté, moi c'est Scott – Scott ? Scott quoi ? – Scott Fitzgerald, pourquoi ? » « Oh, Pablo, Pablo ! – Attendez, vous avez dit Pablo ? Pablo... Picasso ?! » « Je ferai lire votre bouquin à Gertrude – Gertrude ? Gertrude... Gertrude Stein ?! »
La motivation de tous ces retours dans le temps est de servir une jolie morale, sauf qu'une fois de plus la lourdeur est de rigueur. Ainsi, dans le passé, notre héros s'éprend d'une jeune femme dont j'ai oublié le nom, l'ex girlfriend de Picasso, Braque et Modigliani. Et elle, son rêve, c'est de retourner dans les Années Folles. Dans les années 20, un nouveau carrosse vient les chercher et il les amène justement dans les Années Folles, où ils se rendent compte que dans ces années-là, on était nostalgique de la Renaissance. L'idée de l'insatisfaction perpétuelle du présent est donc bien passée. Sauf que surgit à ce moment un long discours ennuyeux, au cours duquel notre héros explique à la jeune femme qu'on est toujours nostalgique d'une époque qui a précédé. Elle s'en fout, décide de rester dans les Années Folles, et lui retourne en 2010. On l'a deviné, après cette petite aventure, il se met à essayer kiffer le présent, il a eu sa petite leçon. Comme prévu par les deux inserts, au cours du film, durant lesquels notre héros a rencontré une jolie vendeuse chez un antiquaire, puis est revenu lui acheter un CD, il la rencontre de nouveau, par hasard cette fois : c'est exactement la fille du présent qu'il lui fallait, et tout est trop bien qui finit bien !
L'humour dissimule mal le vide que l'on ressent à la fin de ce film, dont le seul intérêt est d'illustrer cette morale que j'aime bien. Le truc, c'est que tout ce que montre le film, c'est que c'est inutile d'être nostalgique : il ne montre pas comment aimer son présent, et c'est bien ce que je trouve le plus compliqué, pour ma part.

Quant au héros, j'aimerais ajouter qu'il est totalement fade. J'ai commencé par penser que Owen Wilson, avec sa drôle de tronche et son côté sympathique, était un digne successeur de Woody acteur. Mais – probablement la faute à Woody scénariste – il ne parvient pas à incarner un anti-héros séduisant. Ça n'aide pas, il faut dire, qu'il ait un rôle de scénariste/romancier, puisqu'il faut alors croire le film sur paroles : ce gars-là est capable d'écrire des histoires. Sauf qu'à voir son manque de répartie et d'idées personnelles, on a vraiment du mal à croire à ses aventures avec ces romanciers du passé. En même temps, me direz-vous, c'est probablement lui qui invente ce monde (puisqu'il ne rencontre plus le carrosse dès lors qu'il décide de vivre dans le présent), et donc c'est logique que dans ses fantasmes Hemingway veuille être son pote. Mais il n'empêche qu'il ne fait pas le poids, et que je me suis ennuyée avec ce loser pendant tout le film, et que je rêve de ne jamais avoir à lui parler, merci la conversation qui se limite à « j'adore Cole Porter ! » et « ouiii, j'aime mieux Paris sous la pluie ! ».
Mais comme ça ne dure qu'1h30 et que ce n'est pas horriblement mal construit non plus, qu'on rigole à l'occasion, ce n'est pas non plus une torture. RAS, et j'imagine que, bingo, Woody a encore réussi à différer sa déconfiture. Il arrive à maintenir un espoir, et à la fin du film on se dit pour la énième fois : "j'essaierai le prochain, si ça se trouve il sera cool".
Philistine
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le 14 mai 2011

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