Un grand et surtout beau film d'aventures, pour les enfants et pour tous les autres. L'essentiel était déjà dans la série mais elle souffrait de l'enfermement dans un humour au souffle court, souvent en percutant les humains ou leurs objets ; de la suite dans ces jets-là était nécessaire. Ces défauts étaient déjà moins prononcés dès la saison 2 et le passage au long-métrage a permis à tout cet univers d'exulter tout le long d'une Vallée des fourmis devenue théâtre d'un grand affrontement, à la façon d'une Citadelle assiégée prenant des libertés. Le réalisme est définitivement mis au placard dans ce second opus (jusqu'à attribuer une petite coupe frisée [sur l'abdomen et sur la tête] à une fourmi noire des Antilles), au service d'une certaine immanence poétique, pas dans une perspective fantasy – le merveilleux vient se superposer au réel. À l'extrême quelques plans pourraient se confondre avec ceux du cinéma de science-fiction, lors d'une course sur câbles ou d'une visite.


Ce mélange de détachement et de présence au monde concret accroche immédiatement. Les créatures sont davantage confrontées à l'Humanité qu'auparavant, en allant marcher sur ses plates-bandes. Le spectateur peut avoir l'agréable impression de ré-infiltrer le monde humain et la joie plus grande de seulement le croiser. Pour les coccinelles et leurs camarades, il faut passer au travers par nécessité, entre deux périodes de stabilité heureuse dans sa micro-communauté (famille et amitiés fortes). La séance a des airs de rêverie anarchiste, de cet anarchisme où les prescriptions superflues du monde n'ont pas prise et où il n'est pas nécessaire de tout compartimenter (non de l'anarchisme des contestataires fixés dans l'insolence à perpétuité) – et surtout où s'exprime une solidarité organique et une moralité immanente (sans vigiles et à une exception sans docteurs). Même l'isolement de la petite diva inventive et mélomane est une robinsonnade tempérée et ne relève pas de l'ivresse égotique – qui dans le tout-venant des films d'animation viendrait se marier au grégarisme débile et hystérique (que Lego prétendait critiquer de l'intérieur pour s'inventer un supplément d'âme que les ex-enfants ont bien voulu valider au nom, probablement, de leurs lointaines imaginations).


Visuellement splendide, Minuscule Mandibule s'inscrit dans la continuité. La part de travail artisanal et de maquettes reste massive. Les effets spéciaux sont impeccables et le sens du détail remarquable (fulgurant lors de la tempête). Seules les apparitions des chenilles urticantes sont clairement artificielles – leur première scène est d'ailleurs étrange avec cette crise à la Bob l'éponge. L'encadrement documentaire s'estompe. La caméra est volontiers mobile, les scènes de vol particulièrement ludiques vues face à un grand écran ou dans les éventuelles conversions futures. L'apport est un peu limité concernant la romance (avec les embrassades bruyantes, pour troubler en douceur les gosses et faire sourire les autres – attendrir est déjà acquis), mais le langage limpide et gracieux – le plus souvent seules d'infimes variations (oculaires, ou des grésillements) sont nécessaires (seule une communauté semblant venue d'ailleurs laissera dans l'expectative aussi bien devant qu'à l'écran). De quoi en faire un exemplaire remarquable parmi les rares films non-muets sans dialogue (il ne commet l'erreur de laisser les hommes l'ouvrir – ce qui tend à les priver d'une bonne part de leur contenance, les rendant plus manifestement crétins aliénés – pas nécessairement antipathiques, plutôt oublieux de l'absence de séparation entre eux et la Nature).


Les films Minuscule sont définitivement meilleurs [que la série et que l'ensemble de la concurrence] et libèrent le potentiel de son univers grâce à la poursuite d'intrigues étoffées ; en laissant de la place pour les personnages ; en autorisant surtout à prendre le large ou attaquer de gros conflits. Mandibule est moins théâtral que le premier mais draine toujours son lot de rencontres et de cameo pittoresques ; comme lui il a le mérite de ne jamais entrer dans la comédie à gros sabots (les adeptes de cartoon ne doivent pas fantasmer cet opus). Ses rebondissements sont plus nombreux mais aussi plus prévisibles et de moindre ampleur, le scénario en général n'étant pas vecteur d'originalité. Mandibule profite d'améliorations techniques et d'une musique spéciale sous influence de Ravel. Enfin les adeptes du 'cocorico' seront repus puisque, si on en croit son équipe, le film a été intégralement tourné en France – la seule fausse note est cette portion de financement chinois, probablement responsable de l'épilogue sans autre intérêt qu'une promesse de Minuscule 3 à Macao.


https://zogarok.wordpress.com/2019/02/05/minuscule-les-mandibules-du-bout-du-monde/

Zogarok

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