L'action s'ouvre sur un paysage estival enchanteur. Ciel dégagé, soleil éclatant, tapis forestier vert émeraude sautant d'un vallon à l'autre, à perte de vue. Sous un arbre planté au milieu d'un pré, un homme et une femme au ventre gonflé ont étendu une nappe à carreaux rouges et blancs. L'homme est au beau milieu de sa sieste dominicale lorsque la femme le réveille. Ses mains sont crispées sur son ventre. Sur son visage, un mélange de joie et de douleur contenue. Quelques secondes plus tard ils sont déjà partis, mais la caméra ne les a pas suivi. Elle s'obstine curieusement à filmer les restes du pique-nique, laissés en plan dans la panique, et notamment une boite à sucre qui ne va pas tarder à attirer toutes les convoitises.
Forts du succès de leur série Minuscule, petit joyau de poésie burlesque, Hélène Giraud et Thomas Szabo suivent l'itinéraire balisé de tout concept un peu in en nous pondant un film. Entreprise pas si évidente que de transformer une mini-série muette pensée pour un format proche du très court en long-métrage censé retenir l'attention d'un spectateur pendant presque très exactement quatre-vingt dix minutes. Pourtant, malgré quelques longueurs et le chouïa de redite indissociable de ce genre d'adaptation (1), force est de constater que les deux larrons s'en tirent plutôt bien. Et même très bien, à vrai dire, car parvenir à rendre captivant tout du long un scénario sans dialogue n'est pas un mince exploit. La recette, la même que la série, a déjà fait ses preuves : des insectes numériques à la dégaine impayable subtilement incrustés à des prises de vue réelles, le tout au service d'un humour clownesque oscillant entre le mignon et le gentiment sadique, et magnifié par la présence de bruitages tous plus hilarants les uns que les autres. Oui, quand j'évoquais tantôt l'absence de dialogue il fallait comprendre de "dialogues compréhensibles par le spectateur", car à quelques millimètres seulement au dessus du sol ça communique, ça s'entraide et ça s'engueule en permanence, à coups de trompette, de sifflet et autres sonorités plus ou moins plausibles. Contrairement à des films tels que Fourmiz ou 1001 Pattes, Minuscule n'anthropomorphise ses personnages que d'un point de vue social, émotionnel ou situationnel. Durant son périple, la petite coccinelle - notre protagoniste - va faire l'expérience d'une multitude d'émotions typiquement humaines, l’abattement, la nostalgie, l'amitié, la détermination. Elle va rencontrer des mouches querelleuses qui se prennent pour un gang de motards, une araignée qui se terre timidement dans une maison de poupée, des fourmis collectionneuses et d'autres fascistes et revanchardes qui ont un peu trop regardé le Seigneur des Anneaux. Il ressort de tout cela un amusant contraste entre les situations drolatiques, parfois épiques, souvent disproportionnées auxquelles on assiste et l'aura bucolique et paisible des décors, régulièrement rappelée par des plans larges.
Difficile de ne pas s'attacher à cet univers loufoque et à sa galerie de personnages hauts en couleurs, parfois touchants et souvent complètement timbrés. De quoi vous faire porter un regard neuf sur ce qui se trame sous le gazon. Drôle et relaxant, graphiquement superbe et techniquement très réussi, Minuscule est en plus diablement rafraîchissant, une oeuvre qui mine de rien prend des risques et se permet même une réflexion certes rebattue, mais néanmoins discrète et subtile, sur ce que l'on a à gagner à se serrer les coudes (2), même dans la différence.
(1) Qui va tout de même au delà de la simple galerie de clins d’œil, fervents amateurs de la série TV, vous voici avertis !
(2) Même si, dans la vraie vie, coccinelles et fourmis ne font pas vraiment bon ménage.