Nous commençons haut, très haut. En contrebas, la ville qui s'étend à perte de vue. Puis commence la descente, plongeon vertigineux dans la nouvelle oeuvre d'Hosoda qui nous amène directement au dessus d'un petit terrain bordé par deux grandes maisons. Un générique elliptique plus tard, tout juste ce qu'il faut pour qu'un petit garçon puisse naître et pousser un peu, nous revoilà en altitude, surplombant de nouveau routes, immeubles et chemins de fer. S'amorce alors la même chute, qui nous conduit au même point. Mais là où autrefois il n'y avait que deux grandes maisons et un petit terrain, se trouve désormais deux grandes maisons et une nouvelle petite maison. C'est ici que le réalisateur choisit de placer son histoire, sur ce petit terrain que personne ne semblait pouvoir et vouloir exploiter; c'est à cet endroit précis qu'il bâtit son récit, de la même manière que Papa bâtit sa maison, verticale mais en prenant toujours bien soin de ne mettre aucune cloison entre les pièces, qui sont autant de temporalités différentes. Bref, Hosoda dans son génie parvient en une introduction à nous donner à la fois la structure, le squelette de son film (les deux chutes qui se font échos à deux moments différents), l'univers dans lequel évoluera les personnages qui est comme un système organique, vivant, qui d'une part conditionnera l'histoire, et d'autre part la fera évoluer (je parle ici de la maison, à la fois pour son emplacement, son aspect et son contenu, qui fera sans cesse écho à l'intrigue), et tout cela dans le style qu'on lui connaît, une animation à la fois douce, colorée et lumineuse, épiderme sublime d'un film qui l'est tout autant.


Maintenant que nous avons le corps, encore jeune somme toute puisqu'il nécessitera environ une heure et demi pour se développer, il faut une âme ! Celle-ci s'appelle Kun, est un jeune bambin de 4 ans et vient d'avoir une petite soeur, Miraï. Rapidement, l'étonnement laisse place à la jalousie : lui qui avait toujours été le centre d'attention de ses parents se voit désormais contraint de partager cet espace privilégié avec cette chose qui ne sait même pas ce qu'est un shinkansen et qui refuse catégoriquement ses biscuits en forme de baleine. Bref, Kun n'aime pas Miraï.
Devant cette solitude, nouvelle pour lui et d'autant plus grande que ses parents doivent travailler, le jeune Kun se réfugie dans son jardin. Et laisse la magie opérer. Là, il rencontrera tour à tour son chien, une grande Miraï, une petite Maman, un courageux Grand-Papa, et enfin un Lui, chacun l'aidant à grandir à sa manière. Magnifique jardin secret donc que celui de ce petit garçon.


C'est ainsi que se construit la narration du film, le squelette dont je parlais plus tôt : cinq abandons qui amènent Kun à se réfugier dans son jardin et qui débouchent sur cinq "voyages temporels". S'en suivent quelques péripéties, qui sont autant de situations extrêmement touchantes tant elles sont simples et criantes de vérité. Je ne saurai dire combien de fois ce film m'a rappelé mon propre vécu. Chaque bêtise est une sucrerie, à la fois drôle et émouvante, dont on ne se lasse pas; chaque scène un fauteuil moelleux et molletonné dans lequel on s'enfonce avec bonheur et dont on ne voudrait jamais sortir.
Petit bémol cependant, parce qu'il en faut bien quelques uns, la structure a à mon goût tendance à être un peu trop rigide. J'entends par là que si chaque partie est savoureuse en elle-même, le film tend un peu à s'essouffler dans sa deuxième moitié par manque de variations. Une fois la découverte terminée et qu'on a profité des premières rencontres fantastiques de Kun et de ses délicieuses facéties, rien de nouveau ne vient s'ajouter à l'intrigue. Le but du film et de chaque personnage est de voir Kun grandir, et cela s'arrêtera là. Néanmoins, ce sentiment est relativement court puisqu'entre le moment où l'intérêt commence à baisser et la fin, géniale au demeurant, peu de temps se sera écoulé.


Intéressons-nous maintenant à l'univers du film, la maison dans laquelle évolue Kun, et qu'il doit désormais partager avec sa petite soeur Miraï. Celle-ci est complètement décalée, drôle à sa manière et construite avec une imagination qu'on pourrait presque qualifier d'enfantine tant elle est originale et se moque des constructions traditionnelles. Mais ce qui est encore plus géniale, c'est que la manière dont elle est construite et donc dont l'histoire est construite reflète également le message qui se veut transmis par la narration. Car comme le dit Hosoda lui-même, il a voulu faire en sorte que ce film réveille l'enfant et l'imagination qui sommeille en chaque adulte. Et cet univers a clairement été construit par un petit Hosoda, comme si le réalisateur voyageait lui même dans le temps pour concevoir ses films. C'est probablement ce qui explique que le film soit autant réussi d'ailleurs. Il n'a construit aucun mur dans sa maison, pour pouvoir passer d'une pièce à l'autre avec une facilité déconcertante, pour aller au besoin se confronter aux responsabilités des adultes dans la cuisine ou la salle à manger ou revenir jouer avec des trains dans la chambre de Kun.
Autre aspect génial de ce film et de cette maison, c'est le jardin. En effet, il représente le passage vers le monde fantastique/imaginaire de Kun (essayer de savoir si c'est lui qui invente des amis imaginaires pour tromper sa solitude ou s'il évolue dans un monde vraiment fantastique ne présente aucun intérêt, les deux interprétations tendant à se confondre dans l'oeuvre d'Hosoda). Or ce passage aurait pu se trouver dans un autre pièce, sa chambre par exemple. Mais non, le réalisateur a choisi de placer ce lieu magique dans le seul endroit qui ne soit pas entre les murs de sa maison. Ce faisant, il dissocie son imaginaire (sa maison donc) de celui de Kun, lui laissant le choix de ses propres pensées, comme pour nous dire à nous spectateurs "Hey voilà comment vous étiez avant, je suis là pour réveiller votre âme d'enfant et votre imagination mais c'est à vous de vous laisser aller dans vos propres univers, de tomber sur votre propre maison". Et puis le jardin, ça permet de mettre des papillons (chenille, chrysalide, toussa toussa).


Enfin, la réalisation et la technique, qui sont absolument géniales (la façon de passer d'une pièce à l'autre par exemple, ou encore les diverses chutes). Si on reconnaît bien le style du réalisateur, coloré et lumineux, deux scènes sont assez remarquables d'un point du vue technique. La première est celle où Kun se perd dans la gare. Ici Hosoda semble s'amuser à la fois avec un style différent mais également avec l'univers de Kun : nous sommes au coeur de son monde, dans une gare rempli de trains et il est normal, puisque nous ne sommes plus dans l'univers du réalisateur mais dans celui du petit garçon, que le style change également !
Ensuite, parlons du moment où la grande Miraï ramène Kun dans son présent. Si le style ici rappelle indéniablement ce qu'on a pu voir dans Summer Wars, c'est quand même incroyable de montrer son arbre généalogique tel qu'il le fait. En effet, il choisit de représenter le dénouement de son film, la fin des péripéties de Kun donc, par ce lien entre les âges et les générations; et alors qu'il a encore une fois fait preuve d'une dextérité bluffante à la fois en terme de narration et de réalisation et de technique tout au long du récit, il achève son tableau par une multitude de lignes et de couleurs, qui sont les fondements même (traditionnellement du moins) de la peinture, un retour aux origines à la fois de son personnage humain et de son art.


Pour conclure, Miraï est un film génial, parangon de simplicité et de sensibilité, et qui présente cette qualité trop rare qui est de pouvoir toucher et émerveiller tous les publics, au delà de leurs différences d'âge ou de nationalité. Mais comme si cela ne suffisait pas, Hosoda a décidé d'en faire en plus une oeuvre incroyablement subtile et délicate, que je recommande chaleureusement.

Lolo35
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le 9 nov. 2018

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Loïc Rfl

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