Un acte manqué tout juste sauvé par son climax

Alors que Miss Sloane avait de sérieux arguments pour nous attirer en salle, à commencer par la délicieuse Miss Chastain, nous l'avons finalement snobé lors de sa sortie, début mars 2017, ce pour plusieurs raisons : d'une part, les échos catastrophiques qui l'ont précédé (deux mois après sa sortie aux USA, il pâtissait d'une note IMDb en-dessous de la moyenne, ce qui est rarissime pour un film de son acabit) et son cuisant échec au box-office ; d'autre part, notre appréhension face à la perspective d'un prêchi-prêcha progressiste ("les armes, c'est mal, l'amitié, c'est mieux"), accentuée par la volée de bois vert critique. Résultat des courses : toute cette violence pour ça ? Affirmons-le dès cette introduction : le film de John Madden est très loin de mériter tant de haine, d'abord parce qu'il n'est pas d'une nullité saisissante sur le plan cinématographique, ensuite parce que fameux son parti pris idéologique, bien qu'évident et pas vraiment source de réflexions fascinantes, n'agresse pas non plus l'intelligence. De toute évidence, Miss Sloane a pâti de son orientation politique en cette période tourmentée où les débats se font à couteaux tirés, car la gauche a beau tenir Hollywood, les conservateurs restent un camp très puissant capables de mobiliser bien du monde sur la toile. Maintenant que c'est dit… ce n'est pas non plus comme si le monde avait loupé un chef-d'œuvre.


*[Avertissement préliminaire : Miss Sloane est un film à twist, et cette critique spoile ledit twist sans ménagement, donc vous êtes prévenus.]*


En grand manque de caractère... et de characters


Miss Sloane suit les aventures moralement discutables d'une lobbyiste d'élite, Elizabeth. Autant l'annoncer clairement, à l'intention des immondes machos qui lisent ces lignes : ce personnage est, pendant une bonne partie du film, une figure de femme forte et indépendante™ dans ce que ce que ça a de moins subtil. Et dans l'univers de requins qu'est le lobbying, autant dire que cela promettait des confrontations sans filtre et des répliques qui claquent. Dans le principe, on était pour : un Margin Call/Glengarry Glen Ross chez les lobbyistes, ça a du potentiel. Le problème est qu'avec son budget confortable pour un film de ce genre, son casting de qualité, ses décors raffinés et sa mise en scène élégante, Miss Sloane... n'a que de la gueule, ou presque ; un peu comme son héroïne, qui passe son temps à se la jouer dans ses tailleurs Gucci et à aboyer pour bien montrer qu'elle a le phallus ; en d'autres termes, une caricature de la marque déposée susmentionnée (la femme forte etc.).


Ce qui ne tarde pas à marquer, dans Miss Sloane, c'est la faiblesse de son écriture, derrière cette « gueule » qui fera au mieux illusion dans la première demi-heure. Les dialogues sont supposés claquer, l'ambiance nous électriser, l'héroïne souffler le chaud et le froid par son ambivalence, le public est censé adorer détester les affreux réacs du camp d'en face et compatir à l'engagement moral des rares gentils lobbyistes... mais tout est d'une tiédeur un peu déconcertante. Son scénariste, Jonathan Perera, a été le seul à y toucher, fait rarissime à Hollywood : d'un côté, le Frenchie en nous a envie de célébrer cette confiance en l'artiste… mais de l'autre, son scénario aurait sans doute gagné à être un poil remanié par un script-doctor éclairé. Steven Spielberg aurait tellement aimé le script qu'il aurait envisagé de réaliser le film à un certain point ? Voilà qui nous laisse dubitatifs.


Trois mots : Aaron Sorkin raté. Avec ses dialogues ping-pong de flingueurs corporate, son équipe de jeunes lobbyistes en open space, et ses engagements libéraux, Perera a clairement voulu faire du Aaron Sorkin (Le Stratège, The Social Network…), tendance The West Wing et The Newsroom – impression renforcée par la présence au générique de Sam Waterston et Allison Pill, qui jouaient dans la seconde série (dont un des personnages se nomme SLOANE Sabbith…). Bien que pas fans inconditionnels du gars, nous aurions apprécié l'influence si le résultat avait été convaincant, ce qu'il n'est pas du tout. Le scénariste n'a gardé de la patte sorkinienne que son mauvais aspect, la rhétorique moralisatrice, pour oublier le soin accordé à la psychologie des personnages, la dose d'humour salvateur, et surtout l'obligation de pondre des dialogues de qualité, même quand leur teneur manque un peu de finesse. Ça roule des mécaniques, mais très poussivement, cf. ce speech aussi allégorique qu'interminable d'Elizabeth sur un gâteau au chocolat, qui se croit sans aucun doute malin. Ne soyez donc pas dupé par le roulage de mécaniques : comme chez Sorkin mais en pire, il débute grande gueule pour finir chouineur tendance Libé ; pour s'en convaincre, il n'y a qu'à écouter le discours final de Sloane devant le congrès, d'une démagogie touchante ; soit une tare courante du cinéma hollywoodien où très, très rares sont les portraits de nihilistes qui assument pleinement, et jusqu'au bout, leur nihilisme.


Seulement, chez Sorkin, on trouve la plupart du temps une humanité pleine de malice qui excuse les ratés ; on trouve des personnages, des vrais. Or, dans Miss Sloane, le manque de substance contamine aussi, inévitablement, les personnages. Le spoiler en approche nuancera cet état de fait, mais concrètement, pendant ses deux premières heures, le film nous propose de suivre une égocentrique imbuvable qui ne réserve son humanité qu'à une cause humanitaire, soit le pire, sur le plan humain, de ce que les sociétés progressistes ont a offrir au rayon de l'engagement politique. Nous ne sommes pas contre les personnages de femmes fortes et indépendantes. Le problème est qu'Elizabeth est une parfaite connasse pendant les 3/4 du film. Un avertissement aux amateurs du genre très apprécié de la lutte de David contre Goliath, où de preux chevaliers affrontent des corporations surpuissantes au nom de ce qui est juste : n'attendez PAS de Miss Sloane un Erin Brokovich dans le milieu de la politique. Son héroïne n'est PAS sympathique, ni même agréable à suivre. Si l'on confond les deux, le personnage d'Elizabeth ressort de la comparaison en charpie, car il propose une Erin Brokovich… sans l'humanité, pour grossir le trait. Pas qu'on ait du mal à suivre un protagoniste antipathique ; il est simplement préférable qu'il soit… intéressant. Allez, risquons-nous même à dire qu'entre des mains expertes, une parfaite connasse PEUT faire un personnage intéressant ! Mais Elizabeth est, dans la majeure partie du film, un personnage caricatural de sociopathe superficielle et de carrier woman insatisfaite (puisque le manuel du bon scénariste rappelle qu'un bon personnage est un personnage qui a des failles, on voit venir le gigolo à cent kilomètres ; c'était soit ça, soit l'option scarification). Et ce n'est pas sa « liaison » avec ledit gigolo (Jake Lacy), téléphonée et limite avortée, qui rend d'un coup de baguette magique l'héroïne suffisamment « humaine » pour être supportable. Par ailleurs, et cet échec ne fait qu'alimenter la caricature, on peine à croire à son personnage, alors que c'est un prérequis élémentaire. Le bug saute aux yeux quand on l'énonce à voix haute : une lobbyiste à la fois rompue à toutes les saloperies du métier et… dotée d'une âme aussi précieuse et unique qu'un flocon de neige. Right. Le personnage d'Elizabeth ne convainc jamais vraiment tant il a le cul entre deux chaises, entre le devoir du scénariste de livrer un personnage de flingueuse-glaçon un poil stérile d'un point de vue dramatique, et son désir de communiquer à travers elle tous ses beaux principes. On adore l'ambivalence, mais sérieusement, dans le monde réel, une femme à ce point instable ne tiendrait probablement pas onze ans dans le métier. La réalité est généralement moins romantique que la fiction.


Un des moteurs du récit de Miss Sloane, c'est la partie d'échecs qui se joue entre l'héroïne et ses anciens collaborateurs, à commencer par son ancienne assistante (jouée par Alison Pill), qui savent comment elle fonctionne, et peuvent donc riposter avec plus d'efficacité. Le problème est que les personnages secondaires souffrent d'une caractérisation encore plus problématique qu'Elizabeth ; en fait une non-caractérisation, tant la plupart d'entre eux tiennent sur des tickets de métro. Du coup, le clash attendu manque de caractère : alors que l'on attendait un festival des confrontations avec Patt Connors (Michael Stuhlbarg) et l'assistante Jane Molloy, le combat fratricide est au final mou du genou, et l'on doit se contenter d'une succession de coups de pute distrayante, parfois bien pensée, mais pas sans envergure, sans enjeux intenses. John Madden aurait dû revoir le génial Révélations de Michael Mann avant de tourner, pour ne pas perdre de vue l'aspect humain fondamental d'un tel affrontement. Au lieu de ça, il s'est adapté à l'obsession juvénile du scénariste pour la radicalité un peu prévisible de sa protagoniste (par exemple, on sait pertinemment qu'elle va finir par jeter aux lions la gentille Esme). Alors que Sorkin et ses collaborateurs tirent généralement le meilleur de leurs interprètes (voir l'un peu fade Olivia Munn dans The Newsroom), le casting secondaire de Miss Sloane est globalement gaspillé, à l'exception peut-être de Gugu Mbatha-Raw (assez touchante dans le rôle d'Esme) et de Mark Strong, seuls personnages à dépasser quelque peu le statut de vignette fonctionnelle. Ni Sam Waterston, ni le toujours génial Michael Stuhlbarg, ni Alison Pill, ni John Lithgow n'ont l'occasion de briller.


Nous en venons à Jessica Chastain. En étant bonne pâte, on peut se laisser aller à un superlatif, et dire qu'elle dévore l'écran. Forcément : sans cela, tout le bazar aurait été imbitable. Il est difficile d'ignorer les quelques ratés de sa performance, surtout dans la première partie du film (la scène ridicule où elle éclate d'un rire forcé face au vieux lobbyiste des armes à feu), imputables en partie à l'écriture, et l'actrice ne transcende pas les limites de son personnage caricatural, MAIS la rouquine est tellement charismatique qu'elle parvient à le rendre supportable. Elle ne fait pas des miracles : Elizabeth neutralise une partie de sa performance, ne lui laissant généralement que deux choix, se la jouer avec ses beaux cheveux bien lisses, et aboyer pour bien montrer qu'elle a le phallus, comme écrit plus haut. Mais l'effet Chastain survit à l'épreuve. Et à la fin, quand la substance du film se révélera, ce dernier bénéficiera grandement dudit effet.


Une fin réussie peut-elle sauver un film raté ?


Il est des films en partie ratés dont la fin, à elle seule, justifie d'un coup prodigieux le visionnage. Miss Sloane est à ranger dans cette catégorie, aux yeux de certains. Sans pour autant dire que son dénouement-climax excuse magiquement tous ses défauts, force est de reconnaître qu'il a quand même une sacrée gueule, et dans le bon sens du terme cette fois-ci : du crescendo dans le discours de l'héroïne à la musique de Max Richter, qui porte décidément vers le haut tout ce qui lui passe sous la main, en passant par la réplique de Sam Waterston (« you know the root of the word "annihilate" ? It means "reduce to nothing". That's what they're gonna do to you, Ron. ») passant en fond alors qu'il est lui-même réduit à néant, et à la réaction émue de Mark Strong, tout fonctionne. Ce climax est d'autant plus mémorable qu'il n'est qu'une semi-victoire pour l'héroïne : elle a indubitablement niqué ses adversaires, mais n'en sort pas gagnante pour autant car elle s'est aliéné tout le monde, et cela est bien illustré par la réaction d'Esme : d'un regard, elle reconnait le bien-fondé de la démarche d'Elizabeth, mais lui fait aussi comprendre qu'elle est allée trop loin, et que leur relation ne s'en remettra jamais. D'où l'importance de la case prison, et du changement subséquent. Certes, le coup de la vidéo clandestine incriminante n'est pas très original (et il rappelle un peu le nanar Antitrust, avec Tim Robbins !), mais ça passe.


Certains reprochent justement à cette fin son côté soap-opera. Assurément, À cause d'un assassinat, d'Alan J. Pakula, ou Network, de Sydney Lumet, n'auraient jamais sorti de leur chapeau 70's un twist grandiloquent de ce type. Mais parce que Miss Sloane échoue dans la subtilité (que ce soit dans son tableau du lobbying ou dans son propos politique, sur lequel nous reviendrons sous peu), on est justement heureux de pouvoir se rabattre sur ce qui est peut-être du soap-opera, mais du soap-opera diablement efficace.


Dans tous les cas, la fin de Miss Sloane lui vaut amplement la moyenne. On imagine seulement l'impact qu'elle aurait eu dans un film mieux écrit.


Nous avons critiqué, en ouverture, l'antipathie que nous inspire la protagoniste Elizabeth. D'aucuns répondront, à l'aune du final, et à juste titre, que cette antipathie était intentionnelle, et tout l'objet de sa protagoniste. Si on l'avait adorée, si on avait voulu en faire notre BFF deux heures durant, le dénouement n'aurait pas été une surprise, et le twist aurait fait pschitt, sucrant au film sa force première. Le twist final de Miss Sloane est indéniablement du genre à faire reconsidérer tous ce qui a précédé : dans son cas, il y a effectivement un AVANT et un APRÈS, tant la grande révélation est capitale dans l'appréciation du film. Elizabeth fût une parfaite connasse impitoyable jusqu'à un certain point de sa vie, mais dans le temps du récit, elle n'est en substance qu'une femme brisée par cette existence de misère affective, qui garde en vie la connasse qu'elle fût dans l'unique but d'atteindre son objectif moralement juste, tel une sorte de mal nécessaire. L'idée est très belle. Le problème est qu'un twist, fût-il le plus balaise de l'histoire du cinéma, ne peut changer l'eau en vin, et quand les deux heures (pile !) qui l'ont précédé n'ont pas convaincu, ça ne s'oublie pas par magie. Or, c'est ce qu'il faudrait, de la magie, pour transformer Miss Sloane en spectacle convaincant. Et il en est de même avec le personnage d'Elizabeth : oui, ce que le film en fait au bout du compte est beau, mais ça ne change rien au fait qu'elle nous a royalement emmerdés pendant la majeure partie du film, et pas en bien.


Ceci étant dit, et bien que l'ambivalence du personnage ne convainque donc jamais vraiment, le fameux twist a le mérite de la placer du côté de la justice d'une façon pas trop tordue ; point de sa vie qu'elle a atteint au prix de ce que l'on imagine être un long processus d'émancipation spirituelle. Le scénariste résume cette démarche assez intelligemment avec une des dernières et meilleures répliques du film : « career suicide is not so bad when you consider the alternative is suicide by career »…


Vacuité d'un propos balisé et élément rédempteur


En substance, Miss Sloane n'a pas grand-chose à dire, sans doute trop occupé par son petit festival de duperies et ses quelques messages prémâchés pour élaborer un discours cohérent et pertinent sur les sujets importants qu'il aborde plus ou moins gauchement. « Notre système récompense les rats, dit son héroïne au congrès, à la toute fin ; ces rats sont les vrais parasites de la démocratie américaine ». En entendant cela, on a envie de dire euh… oui, mais encore ? Les politiques sont pourris, l'argent règne sur le monde, on nous ment, on nous spolie, sans déconner, René ? Spectateurs, si vous êtes en quête d'un film dont vous ressortirez le cerveau retourné, passez votre chemin : Miss Sloane passe deux heures à découvrir l'eau chaude.


Lors de sa sortie, le film de John Madden a été descendu par bon nombre de pro-second amendement – les critiques sont disponibles sur l'interweb (english only), et bon nombre de conservateurs en général, d'autant plus qu'il est sorti un mois à peine après l'élection de Donald Trump à la Maison Blanche. Leurs critiques étaient-elles infondées ? Pas forcément… mais disproportionnées, sans doute. Sur le plan idéologique, Miss Sloane est de toute évidence une petite sauterie endogame de libéraux trop imbus de leurs certitudes pour écouter les arguments du camp d'en face. On a droit à quelques jolis classiques : par exemple, les adversaires de l'héroïne sont de vieux hommes blancs (soit le Diable pour Ashley Judd), et la figure du bien qu'est le personnage de sa collègue Esme, elle, est « afro-américaine » (oui, avec un nom comme ça, elle ne pouvait pas être gaélique). Dans un des moments les plus surréalistes du film, un jeune Blanc aux cheveux coupés très, TRÈS court, et forcément pro-armes, s'apprête à descendre Esme avant d'être neutralisé : clairement quelque chose qui se passe tous les jours aux USA (sic). Une pique contre les anti-mariage gay, au détour d'une scène, confirme, comme si c'était encore nécessaire, l'orientation politique du scénariste.


Mais Miss Sloane n'est pas tant une critique du second amendement qu'une critique du lobbying. La loi que veulent faire passer Elizabeth et sa troupe ne vise qu'à durcir les conditions d'acquisition d'une arme à feu et a pour cible les criminels, et non l'Américain moyen – ce qui demeure malgré tout, pour nombre de constitutionnalistes conservateurs, une violation du second amendement, et peut être interprété comme la première pierre d'un projet visant, à terme, à abolir littéralement la vente d'armes, mais nous n'aborderons pas davantage ce sujet hautement casse-gueule. Le film est même d'une lucidité bienvenue dans le regard qu'il pose, en définitive, sur la loi qu'Elizabeth aide à faire passer : quand son avocat va lui rendre visite en prison, il lui dit, plein d'une ironie un peu triste, qu'à présent, les criminels vont souffrir le martyr de devoir passer par le marché noir pour se procurer des fusils d'assaut… Non, ce que vise l'héroïne, et le film à travers elle, c'est la corruptibilité du système. Là, on attaque un sujet censément moins clivant : pas besoin d'être de gauche pour voir d'un mauvais œil les lobbyistes. Dans nos sociétés dites démocratiques où le jeu que les gens nomment naïvement "démocratie" est truqué par cette engeance aussi putride que celle des spéculateurs en bourse, cette critique est d'une nécessité impérieuse : si la publicité vous parait problématique de par son hypocrisie intrinsèque et la culture de manipulation qu'elle génère sournoisement, le lobbyisme devrait, lui, vous glacer le sang. Nous sommes donc pour. Le problème, dans Miss Sloane, est que même sa critique manque peine à faire avancer le schmilblick, enfonçant les portes ouvertes et accumulant les truismes dignes d'un étudiant en sciences politiques mal ajusté sur le plan hormonal. On en garde certes quelques jolies répliques, comme la pique de l'avocat contre le métier ("the most morally bankrupt profession since faith healing"), ou encore le passage sur la manipulation de l'image d'Occupy Wall Street, mais ça ne va jamais bien loin. En fait, le film sape même un peu sa critique dans une note, écrite par Elizabeth à l'intention de Patt Connors, où est écrit "A conviction lobbyist can't only believe in her ability to win", ce qui signifie qu'un lobbyiste peut avoir une âme, et que la profession n'est peut-être pas si corrompue que ça en fin de compte si tout le monde avance main dans la main... Mais c'est tellement balancé à l'arrache qu'on décide de ne pas y accorder plus d'importance. Au bout du compte, le spectateur le moins éclairé du monde sortira du film avec la conscience que ce métier est une saloperie. Miss Sloane n'échoue pas à affirmer le no man's land moral dans lequel barbotent ces fossoyeurs de la démocratie (tous les coups sont permis, et l'important n'est pas tant d'être dans le bon camp que de simplement gagner). Mais le sujet mérite juste BIEN MIEUX que ça.


Il est cependant un thème au regard duquel Miss Sloane parvient à se distinguer du lot, et en bien. Assurément pas son analyse en carton-pâte du monde sans pitié dans lequel nous vivons, non ; mais plutôt, à plus petite échelle, sa description de ce que coûte, sur le plan humain, la disposition d'une personne à TOUT faire pour réussir. L'aliénation qui en découle. Et que le but soit noble ou non ! La solitude non dans l'exercice du pouvoir, comme nombre de films l'ont déjà abordée, mais dans l'attachement radical à l'accomplissement d'un objectif, sujet en revanche assez négligé par la fiction. Là et seulement là, c'est-à-dire dans les quelques moments où cette facette du personnage est intelligemment exploitée, Elizabeth sort du cliché, sort de la caricature instable, et laisse entrevoir son potentiel tragique, celui d'un individu qui sacrifie son image sociale pour le bien commun, prend le risque de s'aliéner la société entière dans l'unique but de la servir, à la Dark Knight. Un des rares moments ou le film fonctionne sur le plan dramatique se situe lorsque Rodolfo Schmidt, l'employeur d'Elizabeth et premier à condamner ouvertement son caractère pourri et son attitude antisociale, réalise combien il s'est trompé à son sujet, et l'observe avec émotion alors que les flashs des journalistes crépitent et qu'elle, reste dans son personnage, digne, inaccessible, et surtout seule. Là, et avec l'aide de la performance de Jessica Chastain, Miss Sloane fonctionne plutôt bien ; avec un personnage central mieux brossé, ce seul élément aurait pu porter suffisamment haut le film pour excuser les limites de son analyse politique...


Acte manqué


En définitive, Miss Sloane est un film davantage oubliable que détestable, à cause de la médiocrité de son traitement. S'il s'était engagé dans le camp adverse, peut-être sont écriture aurait-elle été l'objet d'un plus grand soin, qui sait ? En tant que divertissement, il assure peut-être le minimum syndical, quoique sa durée excessive pose quelques sérieux problèmes et que la mise en scène tout juste efficace de John Madden, qui se contente de faire le job, aborde sans grande conviction son aspect thriller. En parlant de ça, les clichés du thriller paranoïaque hollywoodien s'enchaînent un peu, des panoramas nocturnes du Potomac aux inévitables scènes de repas en environnement populaire où se lient les amitiés, en passant par les clashs de couloirs. Du réchauffé élégant reste du réchauffé. On aurait aimé être captivé par cette partie du film, on est juste... distrait.


En fait, le film aurait surtout fait un bon (et long) pilote de série pour des chaînes du câble comme Netflix, Starz ou FX. Ce pour plusieurs raisons : d'abord, parce qu'on aurait plus aisément pardonné à sa forme son manque de caractère, pariant davantage sur l'écriture et les performances ; ensuite pour la promesse de développement qu'une série porte en elle, qui aurait fait de son héroïne un personnage plein de potentiel en transformant ses tares en vides à remplir ; pour finir, parce qu'une série avec Jessica Chastain, qui dirait non ? À la fin du pilote de la série Miss Sloane, bien qu'un peu énervés par ses conneries, bon nombre de spectateurs se seraient dits que malgré tout, cette rousse a du potentiel, et qu'elle mérite sa chance. Le ou les scénaristes auraient bien été obligés d'expliquer pourquoi elle fonctionne ainsi. De l'extraire, tôt ou tard, de la caricature. C'est entre autre pourquoi les séries cartonnent à ce point. À la fin du film Miss Sloane, on ne sait rien d'Elizabeth, et l'on est très au courant que cela restera ainsi, à jamais, for ever, and ever, and ever. Le cave de scénariste lui fait dire, à un moment, qu'elle a passé toute sa jeunesse à mentir. Et ? ET ?! Et ben, rien. Character development : zéro pointé. Un épisode entier aurait pu être dédié à cette foutue jeunesse. L'émotion que ressent Rodolfo, durant le final au congrès, aurait pu être la base d'une relation passionnante entre lui et l'héroïne. Au final, on n'aura rien de tout ça. Tout juste le potentiel gaspillé d'un film écrit par la mauvaise personne, et tout juste sauvé par quelques bonnes idées. Un coup comme seul Hollywood sait en faire.

ScaarAlexander
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le 4 avr. 2017

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Scaar_Alexander

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