Cette critique est destinée à ceux qui ont déjà vu ce film, que je recommande chaudement aux autres.
Voyons ici une série d'oppositions qui à mon sens forment la charpente thématique de ce chef d'oeuvre:
La dualité Mendoza / Père Gabriel, est efficacement installée: elle débute par une opposition frontale pour aboutir sur une superbe complémentarité (les deux faces d'une même pièce). Ils ne finiront séparés que dans leurs méthodes (très belle scène où Mendoza tombe un masque qu'il ne peut plus porter), enfin réconciliés avec leur nature profonde (l'Idéalisme de Gabriel "la plume" face au pragmatisme de Mendoza "l'épée"). Les deux approches sont validées, et aboutissent au même résultat: l'échec, la destruction de l'Eden, leur salut.
In fine l'authenticité dans l'engagement de ces deux achétypes est consacrée.
La pureté des Hommes de terrain face à la compromission des élites. Contraste assez classique qui trouvera pour encore longtemps des incarnations dans notre Monde. Partis politiques, Syndicalisme, Religions, Ordres divers, sont et seront toujours affectés par cette dynamique. Tenter de leur échapper est un enjeux capital du film et de nos vies. Passons.
Élégance du "sauvage"/bassesse du "civilisé". Parfaite illustration des considérations de Jean Jacques Rousseau, la moralité est consubstantielle de l'état de nature des Hommes. Plus ils se civilisent plus ils se compromettent. A ce titre la visite du Seigneur Altamirano au sein de la mission du Père Gabriel est un bon exemple. Alors qu'il est subjugué par la beauté de ce royaume de Dieux retrouvé, il ne peut toutefois faire autre chose que de signer sa destruction, jusqu’à en perdre l'estime de lui-même et de son rôle. La civilisation, qu'Altamirano ne peut laisser derrière lui, c'est l'obligation du renoncement.
La scène finale est peut-être une tentative de synthèse, où l'un des rares enfants survivant du massacre, emporte dans une pirogue (Arche de Noé?) un violon comme seul souvenir de cette civilisation qui les a transformés puis détruits. Cet objet, et surtout ce qu'il représente (renvoi à la scène du premier contact entre le Père Gabriel et les futurs convertis) semble être le seul point de réconciliation possible entre ces deux mondes.
Le moment que je garde :
La rédemption et les larmes de Mendoza, véritable "born again", aujourd'hui à genoux face à ceux qu'il chassait hier tels des bêtes. Les sanglots deviennent des rires, la plume et l'épée sont réunies. La musique d'Enio Morricone retourne les boyaux et élève l'âme. Un moment magique.