Genre: les mille yeux de De Palma


Projet né de Tom Cruise et de Paula Wagner qui venait de créer Cruise/Wagner Productions, Mission Impossible se voulait une adaptation sur grands écrans de la célèbre série de Bruce Geller.
Le projet devait au départ être réalisé par Sydney Pollack avec qui la star avait tourné la Firme récemment. Puis finalement, celui-ci quitta le projet pour réaliser Sabrina. C’est par l’intermédiaire de Steven Spielberg que Tom Cruise rencontre Brian de Palma et lui propose la réalisation du film.
A l’époque, le cinéaste sort de multiples échecs commerciaux avec le bûcher des vanités et Carlito’s way. Il a donc besoin de se refaire une santé à Hollywood.


Loin donc d’être au départ une oeuvre personnelle, Mission Impossible constitue pourtant une synthèse de sa filmographie.
Rampe de lancement pour son acteur/producteur vedette, ce premier opus se construit comme un film d’espionnage à l’ancienne comme avait su le faire Sydney Pollack avec Cruise et Redford où De Palma va exploiter le principe des faux semblants inhérent au principe de la série. 
Dans celle-ci le point principal et culminant de l’intrigue se composait toujours d’un jeu de remplacement par l’intermédiaire de masques où il s’agissait de duper le bad guy afin d’obtenir les informations nécessaires. La série de Geller était donc avant tout affaire de mise en scène mensongère.
Or, le thème de l’image fabriquée qu’il s’agit de décortiquer est un des sujets phares de l’oeuvre du créateur de Blow Out. L’introduction du film montre clairement ce jeu de dupes avec une mission où Ethan Hunt usurpe l’identité d’un mafieux afin d’en faire tomber un autre. D’ailleurs en hommage à la série TV, le premier plan n’est ni plus ni moins qu’une vision à travers la petite lucarne de la supercherie à l’oeuvre par le reste de l’équipe.


Dès le début, le cinéaste synthétise le propos qui construira son film à travers un écran. Car Mission Impossible n’est au fond qu’un film écran qui conduit à d’autres écrans, tous vecteurs de mensonges au pire ou de vérité(s) parcellaire(s).
Cette idée se concrétise d’ailleurs dans la mise en scène où la mission qui fait exploser littéralement le groupe MI6 n’est vécu que par les caméras que chaque membre porte. Ethan Hunt vit donc sa croisade à venir à partir de vignettes dont le puzzle est morcelé. Tout le long du récit, ce sont des indices, des croisements qui permettent au spectateur de reconstituer l’illusion à l’oeuvre. Notre héros omnipotent est avant tout le jouet d’une mise en scène dont la mécanique lui échappera durant longtemps jusqu’à ce que lui-même en fasse pour arriver à ses fins. De là à y voir ici une métaphore entre un metteur en scène (Brian de Palma) manipulant sa star/producteur (Cruise), c’est un pas que l’on peut aisément franchir !


Reprenant le principe de l’image qu’il s’agit d’animer, Ethan Hunt effectue dans son cerveau le même montage que celui de Travolta dans Blow Out. Mais conscient de la nature intrinsèquement fausse des images, De Palma n’y donne pas toutes les réponses car l’assemblage est avant tout quelquechose de subjectif. Il est le fruit de choix de celui qui le fait et donc de son subconscient . Il peut donc être plus conforme à nos désirs qu’à une réalité. Rappelons nous l’agrandissement de la photographie de Blow Up qui écartera encore plus David Hemmings de ce qu’il croit avoir vu.
La multiplicité des écrans construit un monde trouble raccord avec le milieu de l’espionnage dans lequel Hunt fonce à la fois tête baissé et y prend par moment une longueur d’avance (cambriolage de Langley).
Car notre super agent est à la fois victime mais aussi créateur de faux semblants. C’est d’ailleurs dans une composition purement théâtrale effectuée par ses soins que la vérité éclatera. De Palma semble accepter un final plus positif que dans d’autres de ces films où la recherche inopinée de la vérité conduisait au drame le plus souvent, logique du blockbuster sans doute.


En effet, si raconter comme cela, le film semble être théorique, Mission Impossible n’oublie pas le genre dans lequel il s’inscrit en composant un film d’espionnage à l’ancienne qui mène en Europe, aux USA où les communications globales semblent rendre l’intrigue omniprésente mais la mise en scène aussi.
A l’image des Incorruptibles, De Palma a montré qu’il savait construire des scènes d’action allant crescendo. Le casse de Langley reste un modèle du genre où la mise en scène place ses pions avec une fluidité bien trouvée. Ethan Hunt n’est pas seul lors de ce morceau de bravoure où chaque membre de l’équipe est montré dans son rôle nécessaire au plan. Construit comme la mission à Prague, le cinéaste laisse un des membres Ving Rhames spectateur de l’action mais il est aussi le maître d’oeuvre de la mise en place de celle ci en renseignant chacun des membres. Il est le porteur du savoir d’un monde informatisé, dématérialisé où un pressage de bouton peut ouvrir des portes.

Le film porte en lui un passage de témoin d’un espionnage à l’ancienne où tout est affaire de discussion et de décorticage de paroles à celui d’une intervention à la fois physique et virtuelle à l’aide de gadgets. En ce sens, la saga Mission Impossible se voit aussi à l’image de James Bond passée d’un cinéma de la parole à celui de l’action comme en témoignera l’évolution de la saga. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le film se termine sur une grosse scène de tension et d’action au sein du TGV. 
Le cinéaste réussit à construire un suspens en nous rapprochant peu à peu des ses protagonistes. On y voit un TGV au loin, des corps au visage coupés fourbissant leurs armes pour finir avec une scène quasi guignolesque d’un hélicoptère dans un tunnel. Just for fun en somme ! Le second opus en sera d’ailleurs une version plus hypertrophiée.


Ce premier volet se montre presqu’anachronique à ses débuts où on est plongé dans un univers de guerre froide en Europe de l’Est jusqu’à basculer dans un univers high tech à la Star Wars (bureau de Langley) où le ver est dans le fruit. Témoin d’une mondialisation effrénée aussi bien dans ces multiples lieux que dans ces gadgets qui interconnectent tout, De Palma semble nous dire que la multiplication des écrans n’empêche que tout est le fait du regard de celui qui les contemple.Ils ne sont pas vecteurs de lucidité mais bien de manipulations . La vérité comme le mensonge naissent du regard de Hunt à travers ses lunettes-caméra. On ne peut rêver meilleur métaphore du cinéma où le spectateur devient alors le réalisateur de l’action, image du parcours du cinéaste.


Mission Impossible est donc à la fois le prémisse du devenir de la saga par la suite mais aussi le plus atypique, tellement il est contaminé par les obsessions de De Palma. Avec cette adaptation de la série TV, l’admirateur d’Hitchcock fournit une lecture synthétique (1h 40 impossible ce jour) et grand public de sa vision du cinéma.
D’une grande production locomotive pour son acteur vedette, il livre un blockbuster intelligent où le plaisir du spectacle n’est pas oublié tout en gardant à coeur une réflexion fine sur le statut de l’image tout puissante miroir de notre époque aux écrans sans fin.

Sebastien_Perez
8
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le 12 août 2015

Critique lue 188 fois

Sebastien Perez

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