Tom Cruise est immortel. Ce dont on se doutait il y a quelques années est désormais vrai : l'acteur n'a pas pris une ride depuis M:I-2, sorti il y a... quinze ans. Dans le même laps de temps, ni James Bond, ni Spiderman, ni aucun autre héros de fiction n'a su tenir le rythme sans passer le relais. En fait, on est au-delà de la kryptonite, au-delà de la notion même d'héroïsme. M:I, c'est un monde à part, un univers régi par des lois qui nous échappent, au premier rang desquelles l'absence d'emprise du temps sur les gens et les choses. Un univers fantasmagorique, un immense terrain de jeu virtuel où les complots les plus machiavéliques se contrecarrent par les méthodes les plus inorthodoxes, où le monde est à la fois en perpétuelle mutation politique (les enjeux changent, systématiquement, radicalement, d'un épisode à l'autre) et figé dans des codes récurrents dont le centre est Tom Cruise. Même si dire que Cruise fait tout n'est pourtant pas complètement vrai. Sa meilleure mission, il la doit à Brad Bird, transfuge de Pixar qui avait, par on ne sait quel miracle, réussi à capter du premier coup l'essence de la saga, du Cruise-movie en général et du cinéma d'action moderne tout entier avec l'éblouissant Protocole fantôme. C'était tendu, c'était absurde, c'était drôle, c'était électrisant, c'était extraordinairement bien pensé de bout en bout, à la limite de l'interactivité, précisément à la manière d'un Pixar mais en encore plus dément, encore plus fun. Le quatrième Mission : Impossible reste quatre ans après un sommet du genre - aucun autre héros, dans aucun film, n'a eu autant de problèmes à gérer en même temps, n'a été aussi proche d'échouer et de mourir de mille manières différentes qu'Ethan Hunt dans Protocole fantôme. Sans surprise donc, Christopher McQuarrie, malgré ses états de service (c'est un proche associé de Cruise avec lequel il a bossé sur tous ses films récents), ne reproduit pas l'état de grâce du quatrième film, mais de là à dire qu'il déçoit, il y a un gouffre.


Rogue Nation est dément. Complètement malade. Bourré de scènes d'action improbables, ultra léchées et excitantes. L'utilisation du mot anglais exciting paraît même ici approprié. Cruise est dans la merde. C'est ce qu'il y a, précisément, d'excitant. Qu'il soit toujours dans les pires draps imaginables et finisse par s'en sortir par les moyens les plus hallucinants. McQuarrie a définitivement compris l'identité de la série et marche sur les traces de Brad Bird avec un plaisir non feint. Même s'il n'en a pas le panache, il en a l'ambition. Comme De Palma et Woo, mieux qu'eux et surtout beaucoup mieux que J.J. Abrams, il organise le film comme une cinématique de jeu vidéo, si vivante qu'elle en deviendrait presque interactive, si énergique qu'on a fréquemment l'impression que le cinéaste et l'acteur installent un dialogue avec leur public, un dialogue fait de clins d’œil, de courts traits d'esprit ou de phrases cinglantes (le "Okay" goguenard répété à plusieurs reprises après de légers silences comiques) s'insérant aux instants les plus singuliers. Il y a dans ce M:I-là un véritable métalangage qui fonctionne totalement, confirmant qu'Ethan Hunt, peut-être plus que 007 ou Indy, est définitivement intégré dans le patrimoine cinématographique mondial : il suffit d'un mot, d'une mimique, de quelques dixièmes de secondes d'une posture ou d'un silence pour que se tisse entre le film et son spectateur une connivence frappante. Presque une forme d'amitié.


Avec son découpage très net qui fait penser à un jeu vidéo, le film rappelle de grands films et, bien sûr, de grands jeux. Sans trop spoiler, disons qu'il se découpe en trois grandes séquences musclées (dont deux sont accolées l'une à l'autre) : une à pied, une sous l'eau et une à moto. Impossible de ne pas penser, notamment, à Hitman : Blood Money, dont le film reprend l'une des grandes séquences avec un brio certain, jusqu'à en reproduire cette sensation d'interactivité, de ludique, qui fait sa marque. On pourrait détailler par le menu ces scènes qui font de ce Rogue Nation un remarquable représentant de la série et un film d'action extrêmement enthousiasmant mais ce serait pointer encore et toujours vers les deux mêmes évidences : d'abord, qu'un film d'action avec Tom Cruise au casting diffuse toujours une énergie, une folie créatrice, un minuscule soupçon d'humour caustique qui tient autant à la personnalité de l'acteur qu'à celle du scénario, exubérant mais crédible et surtout parfaitement conscient de ses limites ; ensuite, qu'autour de lui s'est constituée une équipe qui a une vision, des moyens et la volonté ferme de tirer le meilleur d'elle-même. On voit un M:I tous les cinq ans : c'est devenu une sorte de rendez-vous, où chacun se rend déjà conquis, à sa façon, l'un parce qu'il veut voir une politique fiction détraquée mais prenante, l'autre parce qu'il raffole des situations improbables dans lesquelles se fout Ethan Hunt, un dernier parce qu'il aime la tôle froisée, les coups de poing et les crissements de pneus. En bien des aspects, M:I n'est pas grand chose de plus qu'un produit de consommation courante fait pour plaire au plus grand nombre. Mais, et c'est là que l'entreprise a véritablement quelque chose de fascinant, la fidélité, l'innocence et l'acharnement avec laquelle elle s'emploie à renouveler ses propres codes tout en restant fidèle à l'ADN si difficile à cerner du Cruise-movie, tout cela a quelque chose de réellement respectable. Il suffit alors de se laisser porter, de s'émouvoir et de rire, parfois nerveusement, tout en songeant qu'on est toujours en 2000, alors que Chicken Run cartonne au box-office, que Miyazaki commence à se faire connaître et que Mulholland Drive reste à venir... reculer de quinze ans, à une époque où tout reste encore à voir.

boulingrin87
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le 2 août 2015

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Seb C.

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