Le tableau propre d'une Amérique schizophrène

Etats-Unis, 1964. Un Noir et deux défenseurs des droits civiques disparaissent mystérieusement dans l'arrière-pays étasunien, au coeur du Mississippi. Handicapés par le racisme et l'hostilité d'une population acquise aux théories nauséeuses du Ku Klux Klan, deux enquêteurs du FBI chargés de l'identification des meurtriers se retrouvent embourbés dans le fossé séparant une Amérique à deux vitesses et dévoilant une dichotomie dans les mentalités. Entre un Sud rural, agricole et tourné vers une chrétienté exacerbée et un Nord chantre de tolérance et défini en partie par son orientation de développement urbain, le film d'Alan Parker s'avère édifiant de par sa démonstration du racisme multiscalaire de la population (du simple fermier au maire de la ville) entraînant la formation d'une chaîne de solidarité en ce qui concerne la protection des auteurs du crime et la fracture idéologique et géographique d'un pays abritant des individus et des mentalités opposés. En cela, la séquence où l'on voit le défilé d'enquêteurs en costume patauger dans les marais du Mississippi est assez évocatrice de cette schizophrénie étasunienne pouvant remettre en question l'unité d'un pays historiquement déchiré par l'absence d'un socle de certaines valeurs communes partagées : en l'occurrence, le racisme envers les populations de couleur reste très ancien et s'est illustré dans des logiques guerrières par le biais de la guerre de Sécession notamment au XIXème siècle.


Cependant, si Mississippi Burning propose un tandem d'acteurs complémentaires et une volonté de traiter son sujet sans forcément prendre des pincettes (Alan Parker n'hésite pas à nous montrer toute la violence de la ségrégation dans cette petite bourgade), le long-métrage apparaît comme ayant un peu le cul entre deux chaises : d'un côté, l'aspect policier du récit souffre d'un manque d'éléments venant relancer l'intérêt pour l'enquête et d'un autre côté, la dimension engagée et critique du racisme, bien qu'éminemment salutaire, reste malgré tout plutôt sage et convenue et s'attarde peut-être trop sur la partie blanche de la population quant aux personnages développés et à leurs états d'âme. Ainsi, il est presque davantage question de la peinture d'une Amérique coupée en deux selon la logique Nord/Sud avec tout ce que cela peut impliquer (l'exemple pertinent serait celui de l'abandon des méthodes bureaucratiques et diplomatiques du Nord quant au règlement de l'affaire au profit d'une façon plus musclée, en dehors du cadre légal afin de s'adapter au "biotope" du Mississippi) et moins sur celle de la différence de couleur de peau. Néanmoins, cela reste intéressant de découvrir la face cachée d'une Amérique intolérante et profondément repliée sur elle-même.

Raphaël_Gach
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le 29 mai 2015

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Raphaël Gach

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