Model Shop est un de ces films qui nous disent quelque chose d'une époque, moins par le scénario - simple et banal comme souvent chez Jacques Demy - que par l'ambiance générale, avec ses variations musicales, ses décors et costumes.


George, jeune Américain diplômé en architecture, vit avec Gloria dans les environs de Los Angeles. N'ayant pas payé l'intégralité de sa nouvelle voiture, on va le suivre pendant une journée lors de sa quête, quelque peu dissipée, des 100 dollars à rembourser. C'est sur un parking qu'il va rencontrer Lola/Anouk Aimée, une Française gagnant sa vie dans un Model Shop.


Demy filme donc les États Unis et la ville énigmatique de L.A., dans la flamboyance des années 60. Sa caméra est voyante : elle capte le tumulte des immenses artères, le calme d'un quartier résidentiel niché sur une colline. Elle est voyeuse aussi, s'infiltrant dans la maison de George, littéralement posée sur un champ de pétrole, avec la machine de pompage pour voisine.


C'est un peu de cette Amérique étonnante et débordante voire borderline que montre ce film. Une Amérique où un plein d'essence coûte deux dollars et un hamburger et un café deux dollars. Où le rock passe sur toutes les radios et où quatre garçons dans le vent insufflent un style à la musique.


Model Shop satisfait aussi les amateurs/trices de la filmographie de Demy, qui a fait se répondre des destinées entre ses films. De sorte qu'on en ressort avec la furieuse envie de (re)voir "Lola" (1961), dix ans avant qu'elle ne se retrouve aux USA. Il fait aussi écho à des thèmes propres à la pâte de Demy: l'amour au carrefour du hasard, l'appel de l'armée, le processus de création artistique...


Enfin, Model Shop est ce vagabondage existentiel que l'on retrouve dans les personnages de George et Lola. Le premier est un architecte de formation, animé par l'envie de créer quelque chose, pourtant au chômage. On y retrouve la déambulation de Maxence, l'artiste des "Demoiselles de Rochefort", ainsi que sa frange (!).
La seconde promène sa langueur séduisante dans les rues de L.A., de film en film aussi. Est-elle artiste, elle qui maîtrise des poses calibrées dans le Model Shop ? Certes, mais en petite tenue et devant de parfaits inconnus se faignant photographes. Un lieu excentrique et complètement décalé où l'appareil photo fait écran à l'amour perdu. Peut-être inspirateur d'un lieu semblable dans "Paris, Texas" (Wim Wenders, 1984), avec la vitre comme écran.


Même si la relation entre George et Lola souffre d'un décalage entre les deux personnages, qui s'explique par une trajectoire de vie que rien ne semble rapprocher, la proposition d'un amour fugace entre George et Lola est belle. Le duo est magnifié par certaines scènes d'un esthétisme marquant, comme le dialogue par voitures interposées après la seconde entrevue au model shop.


Leur histoire est la preuve que les rencontres dues au hasard de la vie peuvent être décisives et divines. Comme un battement d'ailes des anges de L.A.

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le 9 nov. 2020

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Emilie Rosier

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