J'avoue m'être emballé à la vision de ce film. On peut reprocher plein de choses à Loach, mais faire une œuvre à caractère social est un exercice difficile.


Dans En un combat douteux de Steinbeck, livre ô combien conspué à son époque, certains veulent utiliser un accouchement tragique pour servir la cause, alors que ce drame n'a rien à voir avec leur situation déjà injuste. Ils veulent forcer le trait, l’instrumentaliser pour renforcer le sentiment d'injustice.


On peut reprocher à Loach d'utiliser la mort de Daniel pour montrer encore plus l'injustice sociale. Il n'était peut être pas nécessaire de le faire mourir en martyre du système pour que l'on comprenne. Je peux l'admettre. Cette mort est pourtant discrète, elle est retirée dans un lieu clos. Il meurt seul. N'est-t-on pas toujours seul au moment de mourir ? Le lieu (les toilettes) peut passer pour exagéré aussi. Nous pouvons passer ainsi toutes les interprétations possibles. Nous pouvons aussi interpréter ce film comme une sorte de testament de la part de Loach : la mort qui interrompt tout espoir d'atteindre quelque chose, de faire d'autres films......


Être caricatural est contre-productif pour défendre une thèse ou une position politique. Mais le film est beaucoup plus subtil que cela. C'est l'histoire d'un combat. Daniel représente tous les citoyens en difficulté qui essaient de s'en sortir. N'oublions pas que l'action se passe en Angleterre où le système est beaucoup plus dur que le notre, et de loin.


On ne fait pas une œuvre de qualité avec de bons sentiments, ou alors, il faut être un génie. De même, l'édulcoration ou la caricature (inexactitude, grossière-exagération) desservent et amoindrissent la valeur de l’œuvre. Dans son film, Loach prend ses distances avec les personnages et les événements, il les laisse évoluer comme un documentariste posant sa caméra tout simplement. Ce qui n'empêche pas les scènes plus intimes. Il procède par petites touches, une succession de petits événements qui finissent par peser lourd. Il alterne les deux manières de filmer, l'une plus documentaire, l'autre plus fictionnelle et proche des personnages. Les spectateurs y assistent comme s'ils étaient sur les lieux, témoins de cette chronique d'un combat quotidien. Cette forme fait partie intégrante du sens qu'il veut donner à son film.


Ken Loach reste droit dans ses bottes formellement. Il n'est pas Visconti qui lui a su concilier esthétique et œuvre politique, mais il n'est pas le seul. Visconti est passé du Néoréalisme à une esthétique quasi-aristocratique, le Néoréalisme ayant sa propre esthétique. Il est passé de la mise en scène du peuple à celle de la bourgeoisie tout en réaffirmant ses positions politiques de gauche, en critiquant ces classes dites supérieures. Ken Loach est resté sur ses bases de documentariste. Il est sans doute meilleur dans cet exercice, toujours en filmant le peuple, avec des variantes.


Cela me fait parfois penser à Welfare de Frederick Wiseman, documentaire sur le centre d'aide sociale de Waverly à New York où l'on assiste à ce genre de scènes issues du réel. Les scènes de réclamation des personnes face aux agents des services sociaux sont à comparer avec celles de Daniel Blake à Pôle emploi voyant l'altercation de la jeune femme avec la conseillère et les agents de sécurité puis Daniel Blake lui-même défendant la jeune femme. Elles sont crues, sur le vif, improbables parce que réelles/réalistes. Bien sûr, on peut reprocher à Wiseman d'avoir un point de vue et de bien choisir les scènes grâce au montage. Mais c'est ce que fait tout bon documentariste ou tout bon cinéaste. Il tourne, il choisit. Pour lui, c'est le bon choix. C'est au spectateur et au temps de juger si ce choix était effectivement bon ou mauvais. C'est en cela qu'une œuvre peut s'élever à l'universel. Faire une œuvre est une démarche universelle même si au départ elle semble singulière, subjective voire même partiale. Œuvre universelle ne veut pas dire qu'elle doit plaire à tout le monde ou à produire des publics cibles, comme un produit manufacturé ou une publicité ou encore un blockbuster bêta. A ce titre, elle devient vite oubliable.


Bon, je m'éloigne de mon sujet. Moi, Daniel Blake est un bon film pour moi, avec une ou deux faiblesses qui se discutent. Il ne révolutionnera pas l'esthétique du cinéma, sans pour autant être indigne visuellement. Il marque par le caractère universel de son personnage principal. C'est un anti-héros, ni bon ni mauvais. Il se bat. Le misérabilisme aurait consisté à montrer qu'il se laisse aller. Il est vrai qu'il sombre à un moment donné mais il ouvre la porte et accepte un soutien. Il n'y a ni angélisme ni manichéisme. Certains agents de pôle emploi sont aussi démunis face à cela. Ils ne sont pas les méchants. C'est le système qui est désastreux.


Je n'oublie pas les propos de la fin où il est évoqué que la notion de citoyen se perd. Dans une certaine idéologie dominante actuelle, nous sommes des usagers, des clients, des consommateurs, des jeunes, des chômeurs, des cas sociaux, des migrants, des SDF, des vacanciers, des vieux, pardon, des personnes âgées, pardon encore du 3e ou 4e âge, mais non pardon, des seniors voyons !……..Sommes-nous encore des citoyens dans un système ultra-libéral ?

ManuKat
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le 4 nov. 2016

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ManuKat

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