Moi, Daniel Blake, je réclame une pension, pour moi.

Il y a certes une volonté manifeste du réalisateur : la dénonciation de l’absurdité de la bureaucratie. C’est d’ailleurs tellement démonstratif que cela en est parfois lourd. Questionnaires, formulaires à remplir, inscription sur internet, courriers et attente d’un coup de fil hypothétique : le réalisateur insiste sur les travers de l’administration avec force répétitions pour que le plus ignare des spectateurs comprenne bien. Le but est atteint puisque le film a reçu la Palme d’Or à Cannes d’un public qui ne connaît rien à Pôle emploi. Remarquons que les systèmes anglais et français sont pratiquement les mêmes : les ateliers CV où l’on explique qu’un recruteur consacre seulement dix secondes sur une candidature, l’obligation de chercher un emploi, les rendez-vous qu’il ne faut pas manquer sous peine d’être radié. Une seule différence : en France, ce n’est pas le conseiller Pôle emploi qui fait les contrôles mais un service centralisé, ce qui aide à pacifier les relations dans les agences locales. D’ailleurs, il faut reconnaître que les conseillers du Pôle emploi français sont bien plus accueillants et prévenants que ceux décrits dans le film.


Il convient cependant de dépasser ce premier degré pour voir ce que montre le film au-delà de la volonté consciente du réalisateur. D’abord, et Ken Loach aurait dû le noter, il faut constater que le Pôle Emploi français et son équivalent britannique ne sont pas responsables de la situation économique qu’ils subissent. Leur rôle est malheureusement un peu vain puisqu’il consiste à mettre en concurrence les demandeurs d’emploi devant les quelques offres disponibles. C’est celui qui sera le plus actif, le plus attractif et qui aura le meilleur CV qui trouvera un emploi. Dans tous les cas, il y aura un heureux élu et quatre-vingt-dix-neuf laissés pour compte qui continueront de pointer au chômage. A la limite, Pôle emploi laisserait les gens se débrouiller et rédiger leur CV comme bon leur semble, cela ne changerait rien à la donne : il y aurait toujours un seul élu. Le marché du travail en serait cependant un peu moins uniforme et les candidatures plus personnelles et variées.


L’atmosphère du film est désespérante de grisaille. Tout est terne et froid. Les personnages vivent dans des quartiers sans passé, sans relief, sans paysage. Tout aspect culturel est étrangement absent : il n’y a ni musique, ni littérature, ni cinéma, ni même télévision. La scène finale conclut sur une cérémonie neutre, sans aucune référence religieuse. Les personnages ne vont même pas trouver le réconfort dans la chaleur d’un irish pub. Ce film montre la tristesse d’un monde sans identité. Il semble poser la question : les sociétés multi-ethniques sont-elles multi-culturelles ou au contraire a-culturelles ? Mais l’audace de Ken Loach ne va pas jusque-là : on ne peut pas tout dire quand on ambitionne Cannes.


Les individus errent solitaires et n’ont pas vraiment de but à part trouver un moyen de survivre : qui un emploi, qui une pension, qui une combine pour revendre des chaussures. Ils n’ont pas de projet, ils ne construisent rien : la jeune femme a fait un enfant avec un premier homme, puis un autre avec un second et continue ensuite sa vie de mère célibataire. Même la révolte du personnage principal semble misérable car elle est centrée sur lui-même : « Moi, Daniel Blake, je réclame une pension, pour moi. » Ce film ne parle pas de solidarité car il n’y a pas de destin collectif. Les individus ne sont portés par aucun idéal. Ils ne se battent pas pour une cause qui transcenderait leur triste existence comme c’était le cas dans Le vent se lève, autre film de Ken Loach. Il n’y a pas de souffle épique. A la fin, on est soulagé pour Daniel Blake enfin libéré de ce monde glauque.

Reître
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le 3 nov. 2016

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Reître

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