Daniel Blake, c’est un survivant. Un revenant. Il sort de nulle part, ne voit pas où il met les pieds, (dans les emmerdes), ne comprend rien. Il patauge dans la gadoue sans comprendre. Et je croyais dur comme fer, que Ken Loach faisait le procès d’un certain capitalisme dans ce film, mais il n’en est rien. C’est la société toute entière qui est mise en défaut, en porte-à-faux. Daniel Blake est le produit d’une société qui va, sans que personne ne sache où elle va, et il n’est pas sûr qu’elle-même sache ce qu’elle fait.
Après une crise cardiaque, pour Daniel B, c’est le parcours du combattant. On lui refuse une pension invalidité, parce qu’on l’estime apte au boulot, puis on lui demande de prouver qu’il est apte ou pas, (?), auquel cas, il aura « peut-être » une pension; puis on lui fait passer des tests, (pour voir s’il ne feint pas les séquelles de sa crise cardiaque), pour savoir s’il est apte ou non; on lui fait remplir des dossiers, aller sur internent. C’est quoi internet ? Et lui, il ne comprend pas. Il faut dire qu’il est vieux Daniel. Il est de la vieille école. Celle de ceux qui ont toujours travaillés de leurs mains, (artisans, charpentiers, manœuvre, main d’œuvre). C’est quoi internet ?
On l’installe devant un poste du Job Center local, mais quand on lui demande d’utiliser la souris, il prend ce qu’on lui désigne comme étant la souris, et la colle sur l’écran de l’ordinateur, comme on utiliserait un feutre pour écrire au tableau ??? Ha ! Ha ! Ha ! LOL. Pardon. C’est pas drôle. C’est pas drôle. Comme il est (très) lent, et fait de mauvaises manips, l’ordinateur beugue. Normal. Il demande de l’aide à un jeune blanc-bec qui passe par là, mais l’ordi se fâche tout rouge, et se met en veille. Le jeune regarde l’écran et répond :
« Désolé vieux, mais ton temps est terminé » Tout Daniel Blake, en une phrase, une scène. Lui, Daniel, il s’emporte, (il est un peu impulsif).
« Comment ça mon temps est terminé ? »
Mais c’est le jeune qui a raison. Phrase à double sens, symbolique s’il en est. D’une, quand on est deux cons devant un ordi, c’est l’ordi qui commande. Et si l’ordi beugue, il n’y a rien à faire. Terminé, vieux, désolé. Et ça veut aussi dire que : « T’es pas un peu vieux pour être là avec nous au Pôle Emploi, non ? » Daniel a beau être vieux, il n’est complètement stupide. Il a compris le double sens. Il est le produit d’une société qui maintenant le dépasse, et ne regarde plus les gens. Pôle Emploi, Job Center, même combat. La bureaucratie gère tout dans les moindres détails, aucune place pour l’humain. L’agent du Pôle Emploi qui essaie de faire preuve d’un petit peu de compassion, est vite rappelé à l’ordre par la hiérarchie.
Alors Daniel rencontre Rachel, jeune mère célibataire en galère. DB est généreux. Il n’a qu’une parole, il est fier, il a le cœur sur la main, il est têtu, et fort comme un bœuf. Il prend en charge la petite famille, et va sauver le monde. Il veut tout le temps sauver le monde. Quel con. Tout le monde sait qu’il n’y a plus rien à sauver. Il s’implique totalement…Hey! Il ne serait pas un peu amoureux le vieux ?
Au Pôle emploi, il fait régner l’ordre, et veut faire passer devant les mères, les femmes âgées, ou les handicapées. Il est comme ça. Romantique dans un monde numérique. Le voisin de DB, c’est un jeune entrepreneur qu’on voit peu à l’écran, car il a à faire. Il est très occupé. Il a monté une combine pour vendre des chaussures de sportwear dernier cri, venant directement de Chine. MADE IN CHINA, en couillonant la douane. Malin le petit. Il a tout compris. C’est le business qui compte. Sauf que notre businessman se fait engueuler chaque matin, par qui ? Par Daniel Blake évidemment, qui lui reproche de ne pas sortir les poubelles. Qu’elle plaie, ce type ! Une perle, et une plaie en même temps.
Il n’est pas parfait, mais perdu. À la ramasse. Et moi qui suis plus jeune que lui, je me suis reconnu. Qui n’a pas été transformé en bourrique dans les chausse-trappes du dédale administratif actuel ? Une société qui se protège plus qu’elle ne protège, ne donne plus de travail, mais réprime et sanctionne tout avant tout. Et DB craque.
En final de compte, l’acte désespéré de DB, c’est un geste de gamin. (No spoiler). Ça fait rire ce geste. C’est vrai que c’est drôle. Et Ken Loach a du génie. Les seuls qui vont lui porter soutien, se sont deux jeunes qui le prennent en selfie, (quart d’heure de célébrité illusoire), et un clodo qui lui donne sa veste, quand il se fait embarquer par la police. Les autres applaudissent, (tout le monde sait qu’un applaudissement c’est versatile), bien protégés de l’autre côté de la voie, entre deux tramways. Société de solitudes. Seul. Pourtant il y croit toujours. Normal il est vieux. Trop tard pour changer. « Je suis », dit-il. Un dinosaure, je réponds. Je suis un dinosaure. Un des derniers qu’il nous reste. On devrait le protéger. Lui, de nous, en le mettant dans une cage, bien à l’abri à Jurassic Park, avant de passer aux oubliettes de la vie, et finir par disparaître, avant de basculer dans l’ennui de l’oubli. Je suis Diplodocus Sauropsida.
Les diplodocus comme Blake, lourds, usés, fatiguant à la longue, seront éliminés petit à petit. Place aux jeunes, plus rapides, plus malins, et surtout corvéables à merci, car ils n’ont aucune illusion. Les Vélocraptors. Ken Loach a compris. Il n’y a aucune révolte à envisager, car il n’y a pas de solution au système. Tout le monde accepte son sort sans rien dire, et fait ce qu’on lui dit. Et s’il le faut, chacun ira à la soupe populaire, comme au bon vieux temps. Seule Blake gueule. Et tout le monde, malgré la jeunesse, le regarde avec curiosité. Ils se débattent, et acceptent la survie, qui ressemble à une vie comme une autre. Avant même d’exister, ils ont tous baissés les bras. Il est curieux de voir comment ils ont tous les bras baissés dans ce film, et même ceux qui se battent, d’ailleurs, garde baissée, prêts à se faire b@iser. En quelques années, le combat a changé de visage, et le système. Maintenant le combat est montré tel qu’il est, illusoire.