Un an après « Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil » Jean Yanne récidive avec une diatribe corrosive sur les lobbys du pouvoir. Tout y passe, politique, syndicats, mlf, église… et surtout l’argent.


« A Paris quand vient le mois de mai, la pousse du muguet ne nous attendrit pas ». Le ton est donné dès les premières minutes avec une scène de barricade très caricaturale sur fond de musique de légion romaine, où la Confédération Générale Interprofessionnelle scande « Des sous, des sous », le Mouvement d’Emancipation des Femmes s’égosille sur « Liberté, égalité, sexualité » et ce qui apparaît comme un groupement d’homosexuels braille « Liberté des sexes ». Tous ce petit monde revendiquant finira par s’unir dans un joyeux bordel, rappelant que « tout cela n’est que du cinéma » !


Si l’on replace ce film dans le contexte historique, il apparaît alors comme des plus subversifs et assez radical. Yanne décide d’en découdre avec le système capitaliste et il veut taper fort. Il peut s’en donner les moyens car il est fin analyste à l’époque, en plus d’être un brillant auteur. Ce que malheureusement beaucoup semblent un peu avoir oublié.


Que ce soit dans la démonstration du démantèlement du capitalisme (Benoît Lepape, joué par Jean Yanne, finance l’achat d’entreprises avec les cotisations de la CGI dans le seul but d’une utopique autogestion généralisée), de l’activation et de la manipulation des réseaux de tous ordres, des pressions subies, du mouvement de libération de la femme, de l’avidité multi classes, de l’hypocrisie de l’église prête à tout pour remplir ses églises, du message écologique opportuniste, Jean Yanne alimente intelligemment son raisonnement dont l’épilogue est inscrit au générique de fin : « Le monde est fait d’imbéciles qui se battent contre des demeurés pour sauvegarder une société absurde ».


C’est loin d’être gratuit ! Dans une des scènes, un sondage sur l’homme le plus populaire de France est réalisé, toutes les personnes interrogées tiennent en main le même journal, « L’Empress » où Pompidou est en couverture, pas une ne cite le nom du Président. Attaque en règle à une époque ou la contestation était omniprésente. Et que dire de la parole du Président de la CGI Colbart (interprété par le génialissime Bernard Blier) « Ce serait facile de faire du syndicalisme s’il n’y avait pas les ouvriers ».


Ces multiples provocations n’ont pour seul but à l’époque que de réveiller les consciences (nous sommes à la toute fin des 30 glorieuses), de rappeler au public que ce qu’on leur raconte, que les causes qu’on leur demande de défendre (l’affaire des cycles « Luciole » est exemplaire) ne sont que manipulations et très loin de son intérêt. Jean Yanne caresse le doux rêve d’un retour de la conscience, non pas collective, mais celle qui permet de réfléchir et non suivre bêtement le mouvement.


Il s’entoure de son habituelle bande de copains, Blier bien sur, mais aussi Michel Serrault, Ginette Garcin, Jacques François. Jean Roger Caussimon (autre grand artiste militant) qui campe le rôle d’un Evêque moderniste dans une cathédrale futuriste où le chemin de croix aux images guerrières n’est qu’une stylisation de courbes de croissances, où la musique se veut hautement avant-gardiste (le groupe culte et hallucinant Magma y interprète un des chants liturgiques à sa manière).


Justement en parlant de chansons, elles sont nombreuses, joliment troussées (comme pour « Tout le monde il est beau… ») et sont le sel de quelques scènes, aux titres évocateurs : « Super chic génial » (aux tonalités d’un James Brown), « Pétrole pop », « Parle au patron ta tête est malade », « MLF c’est l’émancipation ».


Bien évidemment, le film peut apparaître aujourd’hui comme mineur, toutes ces considérations sont d’un autre âge, et allaient très vite tomber en désuétude, l'année suivante avec le crash pétrolier de 1974. S’il est moins bien construit que le précédent opus, il reste néanmoins une intelligente réflexion socio-culturelle des années post soixante-huitardes et une comédie qui tient encore la route. Après tout, transposé dans notre contexte actuel, on se rend compte que les mêmes causes ont toujours les mêmes effets.

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le 18 oct. 2015

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Fritz Langueur

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