We need to talk about Steve

Dolan et sa mère, vaste programme qu’on devrait étudier en Master psycho. D’abord il l’a tué, symboliquement (J’ai tué ma mère), il l’a tué comme on tue le père, avec la rage et l’envie d’exister sans. Voilà maintenant qu’il la consacre, qu’il la canonise presque, et c’est le fils qu’il faudrait tuer cette fois-ci, en tout cas s’en débarrasser, l’éloigner ou s’éloigner de lui. Impulsif, hyperactif et violent, Steve revient vivre chez sa mère après avoir été expulsé d’un centre pour ados difficiles (il y a foutu le feu et grièvement blessé un camarade). Elle l’adore son fils, Diane la cagole, mais elle le connaît, elle connaît la bête, et parfois elle en a peur quand il pique ses crises, quand il casse tout, quand il cherche à l’étrangler.

Et puis Kyla arrive, et ça change tout. Kyla, c’est la voisine d’en face un peu bizarre, qui bégaie et qui a l’air triste dans sa maison triste avec son mari et sa petite fille tristes. La première demi-heure de Mommy ne plaît pas, augure du pire, alors on se pince, on se pince pour tenir. On psalmodie. Entre le jeu maniéré d’Anne Dorval (en phase avec son personnage, certes, mais maniéré quand même), ce format 1:1 étriqué plus gratuitement esthétique qu’intelligemment pratique (oui, les personnages y étouffent, s’y cognent et s’y débattent, mais les perdre dans un Cinémascope bigarré eut été tout aussi approprié), et ce patois québécois juste insupportable, entre tout ça donc, Mommy s’annonce mal.

C’est quand Kyla (Suzanne Clément, magnifique) entre dans la danse (littéralement, sur du Céline Dion) que le film se hausse. Sa douceur (apparente) et son spleen silencieux viennent trancher avec l’hystérie ambiante. Ils sont un contre-pied à l’exubérance fatigante de Diane et de Steve, à leur amour qui crie et qui gueule. Une émotion qui surgit soudain, chétive et tendue… Mais Dolan semble avoir atteint ici ses limites, franchit le bord d’un précipice formel. Le semblant de maturité entraperçu dans Tom à la ferme n’a été qu’une parenthèse, un soubresaut, et Mommy compile ses chichis et ses manières (qui avaient trouvé leur parfait apogée dans Laurence anyways) comme on ferait un pot-pourri, en empilant, en tassant, en insistant.

Il y a aussi cet excès de musique qui agace à la fin (les séquences sur Dido et Oasis, par exemple, ne servent à rien, ressemblent à des clips sur les joies de la banlieue canadienne initiés par des chargés de com en politique), malmène la justesse, la grâce d’instants fragiles que l’on voulait ressentir à fond, pour soi, vierges de tout, et martèle les sentiments, par centaines, comme le ferait un chauffeur de salle névropathe. Dolan se distingue davantage dans les non-dits (une vie meilleure avant, un fils disparu, une intimité incertaine entre Kyla et Steve…), dans les silences et dans les gênes, quand il filme deux femmes qui se parlent dans une cuisine, un au revoir embarrassé, déflagrant, une mère qui dit sa fatigue, admet son ras-le-bol…

Mais qu’importe. Qu’importe puisque cette recomposition familiale pleine de hargne passionne à moitié, puisque ses enjeux (dont le postulat politico-social de départ n’est jamais mis en perspective, n’est qu’un gadget théorique) sont parfois bien pâles (la rencontre avec le voisin, l’examen de Steve…) et puisque ses personnages restent figés, coincés dans une stricte attribution (mère courage, fils instable, voisine dépressive avec fille et mari purement fonctionnels) sans véritable développement. Étrange que ce soit avec ce film démonstratif, copié/collé frustrant de ses premières armes, qu’on ait soudain glorifié Dolan (prix du jury à Cannes avec Godard) alors que Mommy a quelque chose du film de trop. Une overdose.
mymp
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le 1 oct. 2014

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mymp

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