Oui, Xavier Dolan peut-être agaçant. Mais Xavier Dolan est génial. Un indéniable surdoué. Il est d’ailleurs peut-être agaçant parce qu’il sait qu’il est génial. Ou pas. Car Xavier Dolan ne fait finalement que traduire à l’écran une culture pop dont il se fait l’exquis porte drapeau, une influence qu’il fait plus que revendiquer, qu’il brandit comme l’insigne de son art baroque. Au fond, il n’y a pas de calcul dans l’œuvre de Dolan. Il filme littéralement ce qu’il a dans la tête. Et comme il se passe beaucoup de chose dans sa tête…
Le jeune réalisateur a conscience de la force de son cinéma, de la puissance émotionnelle et évocatrice d’une chanson éculée sur des images pastels, de l’imaginaire que véhicule un ralenti (il les adore), du choc que peut procurer un changement de plan brutal.
Le malentendu vient sans doute du fait qu’il ne s’excuse pas de faire un cinéma souvent outrancier, parfois kitch, éminemment populaire donc, mais fondamentalement sincère. Ce sont autant de souvenirs et de références qui l’ont marqués qu’il emprunte pour construire ses histoires.
Mommy est donc l’expression des ses influences et de sa singularité, à l’image de ses quatre premiers longs métrages.
Beaucoup l’ont érigé comme le film de la maturité, mais cela fait deux films que Xavier Dolan prouve qu’il a gommé les scories de ses débuts . Laurence Anyways était d’une remarquable concision, d’un esthétisme terrassant et d’une grande sensibilité. Et que dire de l’âpreté et de la complexité de Tom à la ferme ?
Or Mommy retombe parfois dans quelques travers Dolanien, l’hystérie par moments, l’excès mal contenu, des effets qui peuvent apparaître forcés. C’est rare, mais suffisamment présent pour le priver du statut de film total (et Palmable) auquel il aspirait.
Parce qu’au-delà de ça, Mommy est incontestablement un grand film.
Parce qu’il repose sur une idée formelle qui n’a rien d’un artifice.
Parce qu’il met en scène des personnages d’une densité folle.
Parce que leurs interprètes sont monstrueux de charisme.
Parce que Dolan est capable de vous renverser de votre chaise par des fulgurances foudroyantes.
Parce qu’il vous achève avec des uppercuts émotionnels que vous n’aviez pas vu venir.
En limitant l’écran à un carré étriqué, Dolan modifie la perception du spectateur, l’incite à rester avec ses personnages, créant une intimité parfois impudique, mais particulièrement engageante. Et quels personnages ! Si la figure maternelle a toujours été au cœur du cinéma de Dolan, Die (impériale Anne Dorval) en est l’incarnation ultime. A la fois femme indépendante, mère apeurée et amie surprotectrice, elle forme avec son «gars » (Antoine-Olivier Pillon, une révélation) un couple mère-fils fusionnel et vibrant. L’arrivée de la discrète Kira, bien loin de les éloigner, va leur apporter une stabilité, certes fragile, mais qui leur permettra de sortir un peu de la boule de violence dans laquelle ils s’enfermaient, et lui offre à elle un échappatoire à un quotidien plombant, où plane l’absence du fils. C’est une fable filiale et passionnelle que le réalisateur exécute, une œuvre qui ne s’encombre pas du réalisme à tout prix, mais convoque un imaginaire riche et dense, un symbolisme tout aussi évocateur.
Au-delà de la métaphore sur l’enfermement et du repli sur soi, le choix d’un cadre restreint offre de formidables possibilités narratives, dont Dolan se saisit avec gourmandise. Et excès, oui. C’est la limite de Mommy, qui n’atteint pas à mon sens la poésie furieuse des Amours ou de Laurence, même si la puissance de son cinéma reste intacte. Et son talent inattaquable.
Son prochain film sera en anglais. Avec Jessica Chastain. C’est peu dire qu’on a hâte de voir ça.
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