Jean-Marie Gourio s'adonna des décennies durant à l'écoute attentive des "Brèves de comptoir".
Avant lui Jacques Tati son calepin à la main observa les gens, assis à la terrasse d'un café ou en se promenant dans les rues. Ces observations sont la matrice et l' essence de son film, une invitation à regarder les gens, en particulier les "simples", les "modestes", facilement inaperçus.


La Caméra est fixe, comme le regard de l' amateur devant un tableau prenant soudainement vie, les mouvements sont à l'intérieur du cadre et la profondeur nous invite à regarder aussi bien au premier plan qu'à l'arrière, tout l'inverse du cinéma contemporain numérique et paresseux qui domestique notre regard de chien bavant devant le film à coup de gros plans et de flous en fond...


Ses années d'observation régulière depuis sa tendre enfance- il ne s'arrêta jamais- firent percevoir à Monsieur Tatillon, la fin d'un monde, lent, convivial remplacé par un autre rapide et productif.
Esquissé dans son Jour de fête, ce constat devient le pivot autour duquel tourne le film.


Avec son camarade Jacques Lagrange formé aux Beaux-Arts, il conçoit une architecture de scénario et de mise en espace aux proportions savamment étudiées. Les immeubles de Créteil au loin, l'école, l"usine, l'incroyable maison Arpel aux tonalités grises, Saint-Maur: sa place et son café, la Maison Hulot aux couleurs chaudes. Ce sont des chiens qui font communiquer les deux mondes, avant que Monsieur Hulot n' aille rendre visite à son cher neveu.


Si l'on regarde le film avec cette question philosophique: peut-on ne pas être soi-même ? On perçoit autrement la maladresse touchante du héros, qui sait mieux regarder qu'être regardé.
Les conventions sociales , cette maison moderne censée faciliter le travail de sa maîtresse, se révèlent prison dans laquelle la sœur et le beau-frère sont enfermés, ils finiront même mis en boite dans le garage.
L'hygiénisme hyper ordonné de madame, le productivisme de monsieur, leur amour des "choses" cher à Georges Pérec qui leur fait oublier de "regarder" leur fils, sont heureusement pervertis par ce terrible Monsieur Hulot sans but ni foyer. Pour le plus grand plaisir des spectateurs eux aussi dans la connivence ! Pourquoi ne sifflerions-nous pas nous aussi ?


Le regard rieur et la complicité entre oncle et neveu visible jusque sur l' affiche du film efface tout pessimisme, et le running gag rappellent joyeusement à l'ordre ceux que la routine coupe du monde extérieur. Jacques Tati n'oublie jamais d'être joueur.


Les artifices du cinéma de studio pour souligner les artifices d'un monde moderne, sont mis en résonance avec la post-synchronisation ( indispensable pour de tels plans-séquences complexes en profondeur ) qui harmonise bruitages, dialogues et musique en un fond vif piquant. A quoi bon entendre ces bribes de paroles banales et mécaniques? Même si parfois le réalisateur -scénariste fait saillir de vibrantes répliques théâtrales d'impuissance. La sincérité est ailleurs, elle jaillit des corps ou éclate dans le ton, tandis que la musique rythme et colore les scènes, les segments d'univers qui mis bout à bout finissent par trouver une fragile harmonie.

Heureusement, dans le cinéma de Jacques Tati, tout communique.


PS: quel trouble devant cette fin qui annonce dix ans avant son film suivant**Playtime.. Hulot n'est plus entre-deux-monde, il se débat dans le monde moderne pour rester lui même, trouver ou faire renaître une étincelle d'humanité chez les individus fonctionnels.

Créée

le 17 oct. 2019

Critique lue 128 fois

5 j'aime

2 commentaires

PhyleasFogg

Écrit par

Critique lue 128 fois

5
2

D'autres avis sur Mon oncle

Mon oncle
Grard-Rocher
9

Critique de Mon oncle par Gérard Rocher La Fête de l'Art

Ce troisième long métrage de Jacques Tati nous fait retrouver ce même Monsieur Hulot, toujours aussi imprévisible, désinvolte et vivant en marge d'une société qui, déjà à cette époque, se montre de...

77 j'aime

13

Mon oncle
Kalimera
9

Délectation ....

C'est LE film que je regarde avec plaisir et délectation, il est la quintessence de la lenteur et d'une certaine nostalgie: la mienne ! Je revois mes parents et leur fierté d'avoir économisé pour...

le 8 déc. 2011

50 j'aime

38

Mon oncle
YellowStone
5

Très peu pour moi, merci.

Un film qui s'appelle Mon oncle, on pourrait s'attendre à ce qu'il traite de la relation entre un gamin et son oncle non ? Eh bien non. Si l'oncle en question est bien le personnage principal (en...

le 10 avr. 2013

46 j'aime

10

Du même critique

Les Enfants du paradis
PhyleasFogg
10

Sur le boulevard du crime, vous vous promenez, et tombez amoureux d'une fleur, Garance

Sur le boulevard du crime, vous vous promenez, et tombez amoureux d'une fleur, Garance. Il y a Baptiste, le mime enfant de la lune, tellement fou d' amour qu'il n'ose cueillir la fleur... Frédéric...

le 10 févr. 2013

70 j'aime

15

Chantons sous la pluie
PhyleasFogg
10

Make 'em laugh Make 'em laugh Don't you know everyone wants to laugh?

Qui peut résister à "Singing in the rain" ? Qui peut rester hermétique à ce film qui vous entraine, vous endiable, vous charme et à la fin vous terrasse de joie. Je me souviens encore de la stupeur...

le 25 juin 2013

64 j'aime

18

Timbuktu
PhyleasFogg
8

Mea culpa ou savoir accueillir un film pour ce qu'il est.

Longtemps je me suis gardé de rédiger une critique à ce film. Le parti pris du cinéaste, qui de la dérision, à la folle poésie, finissait en mélodrame, échappait en partie à mon entendement. Je l'...

le 21 févr. 2015

58 j'aime

15