La Reine Emmanuelle à la rescousse

Depuis les tréfonds de ma déception, je dois reconnaître qu'Emmanuelle Bercot m'a bluffée. Même dans les scènes conspuées par la critique - celles de la folie furieuse, des cris et des gestes brusques - je l'ai trouvée absolument remarquable de justesse et de naturel. Et, j'ose le dire tout de suite : c'est elle qui sauve le film du naufrage.


Tout au long de Mon Roi, elle est cette femme blessée, déçue, meurtrie, aveuglée et les allers et retours temporels montrent bien les montagnes russes émotionnelles par lesquelles elle passe et repasse, au gré des humeurs et des envies de son (insupportable) Giorgio.


Alors : clôturons tout de suite le débat sur "Mais c'est un gentil au fond ou un méchant ?" Ni l'un ni l'autre, mon capitaine, c'est juste un malade. Ce qu'on appelle, par une expression largement relayée par les médias, un pervers narcissique. L'affiche du film suffirait à l'expliquer : on ne voit que lui qui "mange" sa partenaire, l'éclipse, prend le dessus. Manipulateur, menteur, frigide de l'engagement, infantile, ne supportant pas que sa proie lui échappe, recourant au chantage affectif, le personnage incarné par Cassel possède absolument tous les symptômes de cette pathologie. Ajoutons à cela une personnalité expansive, toujours entouré d'une ribambelle de bobos imbéciles et infoutus de voir que leur pote cache en fait de bien sombres facettes. Alors certes, Maïwenn choisit de se fixer sur la victime, sur sa psychologie à elle, en oblitérant les ressorts et les motifs internes de son bourreau, mais doit-on s'en offusquer ?


Mes déceptions sont nombreuses dans ce film dont j'attendais énormément, ayant adoré tous les films de Maïwenn dont le regard, le talent, la sincérité m'ont à chaque fois bouleversée : dans Polisse évidemment, mais aussi dans Pardonnez-moi (son renversant film autobiographique) ou Le Bal des actrices. Je trouve qu'elle brille impeccablement sur le format vrai/faux documentaire.


Ici, dès le début, trop de détails m'ont gênée, ont freiné mon adhésion et mon émotion. Les dialogues des deux "amoureux" sont creux et vulgaires ("Ta chatte est une bouche sans dents". Sans commentaires) ; la complicité et les rires sont surjoués; Cassel fait du Cassel, incarnant encore et toujours cet insupportable séducteur cabotin, menteur, dilettante, se croyant drôle, suffisant, avec toujours ce besoin de faire l'intéressant, de faire son show, de se faire remarquer. Il m'a agacée mais agacée...Le cliché du séducteur à deux balles, donc invraisemblable qu'une fille intelligente comme semble l'incarner Toni puisse se laisser berner par un personnage aussi hâbleur et faux.


On sent pourtant, grâce au jeu tout en subtilité et en nuance d'Emmanuelle Bercot, qu'elle ressent une certaine méfiance, de la peur face aux zones d'ombre qui se font peu à peu jour dans la personnalité de Giorgio. Mais la force du drame psychologique est gâchée par les longueurs, la vanité des échanges, les rires forcés de la pseudo-bande d'amis auxquels on ne croit pas 5 min, par le couple sans intérêt incarné par Garrel-Le Besco, et aussi par l'aveuglement constant de Toni, sa persistance à rester avec ce connard qui la méprise.


On finit par se lasser de ses revirements, on voudrait la secouer et lui hurler comme dans le poème de Cendrars "Respire, marche, pars, va-t-en !". Alors oui, JE SAIS, c'est l'AMOUR, le truc qui rendrait Einstein aussi neuneu que Nabilla et qui fait tout accepter. D'accord. Seulement parfois, le montage m'a paru obscur : on quitte le couple à une table de café, elle résolue à divorcer, pour les retrouver dans la scène suivante, célébrant leur divorce comme un mariage et retournant faire des galipettes en rigolant. Désolée, mais là c'est trop je ne marche pas.


Les passages au centre de rééducation sont plutôt sympas et agissent comme un appel d'air au coeur de ce drame souvent asphyxiant. On a beaucoup moqué la présence de Norman Thavaud : si sa présence au casting est étonnante et, il est vrai, sans doute assez imméritée, il n'empêche qu'il n'en fait pas trop et qu'il colle très bien avec l'ambiance du groupe qu'il fréquente, donc ça ne m'a pas choquée du tout.


Il y a l'idée de tomber sept fois, se relever huit, dans le parcours de Toni. Ce passage dans ce centre médicalisé lui offre l'occasion de faire le point sur cette histoire et d'y mettre un point final, de digérer les épisodes, de se repasser "le film". Cette période d'immobilisation, de réapprentissage de la marche est bien entendu symbolique et fait signe du côté d'une renaissance, de la possibilité de se remettre debout, de marcher à nouveau malgré les blessures.


Elle est merveilleuse et si émouvante dans ses larmes et son nez qui coule, dans ses pétages de plomb d'anthologie, dans ses regards d'amour, des années après, pour celui qui lui a pourtant passé le coeur au mixer (la scène de réunion parents-instits est très bien vue). J'ai tout aimé dans le jeu d'Emmanuelle Bercot, qui n'a pas volé son prix d'interprétation à Cannes et qui porte toute l'originalité du film sur ses épaules pendant 2h.


Non, Cassel n'est pas original puisqu'il joue toujours le même personnage, il le joue certes bien mais c'est un peu facile d'incarner ce qu'on est dans la vie, non ? Tout comme Bacri, ça ne fait pas de lui un mauvais acteur, juste un mec qui ne sait jouer que d'une seule façon à peu de choses près.


Je n'ai pas non plus trouvé l'esthétique folle ni la musique d'ailleurs - choses auxquelles Maïwenn nous avait pourtant habitués : vraiment, pour moi ce film n'est pas réussi. Ca n'enlève rien à mon attachement pour cette réalisatrice, que je continuerai à suivre de près, mais là, je trouve que la mayonnaise n'a pas pris.


(5,5/10)

BrunePlatine
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le 29 févr. 2016

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