On a beau dégoiser sur Maïwenn, c’est quand même la cinéaste qui a reçu le prix du Jury des mains du Président Robert de Niro pour son film Polisse au festival de Cannes de 2011. C’est quand même la réalisatrice dont l’interprète féminine qu’elle a dirigée dans Mon roi a reçu le prix de la part des frères Coen, à Cannes toujours, en 2015. C’est aussi la femme qui a provoqué 8’24’’ de standing ovation à ce même festival.


Il y a quelque chose qui émane clairement de Maïwenn et qui traverse ses films, quelque chose qui les rend touchants, et qui la rend touchante. Et n’en déplaise à certains critiques, ce quelque chose pourrait bien s’appeler le cinéma.


Pour en revenir à Mon Roi, le thème abordé est la violence de l’amour et du désamour. L’axe choisi est de raconter sur 10 ans l’histoire d’un couple, celui de Tony (Emmanuelle Bercot) et de Georgio (Vincent Cassel), un couple borderline, elle par trop d’amour, lui par trop peu d’amour. Le film se présente en montage alterné entre le présent de Tony après un accident de ski qui lui a abîmé le genou (le « je-nous », comme dirait la thérapeute du centre de rééducation qui la questionne sur ses motivations à venir se soigner pendant de longues semaines au centre, un personnage légèrement moqué par Maïwenn pour sa « psychologie de comptoir »), et son passé, lui-même présenté comme une succession de jours heureux et d’épisodes douloureux.


Les caméras de Claire Mathon, sa très talentueuse chef op historique, et de Jowan Le Besco (pour la 2ème caméra habituelle aux plateaux de Maïwenn) captent ainsi des moments très différents, dans des décors également très variés, en colorant distinctement les états d’âme des protagonistes selon les circonstances. Une première scène, un blanc alpin à perte de vue, avec Tony, blême aussi, qui s’apprête à dévaler la pente, la mine (un peu trop) grave. Une deuxième scène inondée d’un rouge de boîte de nuit, sombre, mais joyeuse, la belle musique de Son Lux (Easy) remplaçant le son diégétique de Giorgio et de son équipage, un son qu’on imagine animé, urbain. Giorgio, un restaurateur mondain, est un hédoniste charmeur qui dégage immédiatement une aura érotico- sexuelle dès les premiers instants. Tony, moins exubérante, le reconnaît, pour l’avoir côtoyé dans une autre vie. Les retrouvailles entre les deux protagonistes sont tout simplement délicieuses, magnétiques et physiques. Les acteurs sont très à l’aise, spontanés, mais sachant exactement ce qu’ils ont à faire. Avec 4 films à son actif, Maïwenn sait ce qu’elle veut, les ambiances, la lumière, la déco, les dialogues. Les premières minutes du film développent cette histoire d’amour au quotidien, faite de rires, de tendresse, de désir. Des images entrecoupées du début très douloureux de la rééducation de Tony.


Puis sans crier gare, le film change de ton. De charmant, Giorgio passe à exécrable, le « roi des connards » comme il se définit lui-même. Il est un peu dommage d’ailleurs que le personnage soit aussi soudainement affublé d’autant de tares (menteur, infidèle, drogué, dépensier, etc. ), car le scénario aurait gagné à être plus insidieux, en caractérisant un homme plus inquiétant et non pas l’histrion à travers lequel on lit comme dans un livre ouvert. A moins que l’intention de la réalisatrice soit de montrer l’aveuglement de Tony par rapport à l’évidence, ce qui est d’ailleurs assez surprenant pour une avocate de sa trempe, ce virage sur l’aile de Giorgio, trop marqué, pas assez subtil, est le point faible du scénario.


Le montage en alterné permet cette fois-ci de suivre Tony au centre, dans un rétablissement difficile mais réel, tant physique que psychologique au contact de jeunes de banlieue (dont un personnage joué par le You Tuber Norman), dont les blagues potaches n’ont pas de vocation à charmer, contrairement à celles de Giorgio.


Il est beaucoup reproché à Maïwenn d’avoir perdu le cinéma en route, en réalisant ce film, reproche récurrent d’ailleurs pour chacun de ses films. C’est vite oublier que le cinéma est avant tout un vecteur d’émotions. Et des émotions, elle en donne à revendre dans son métrage. De la tendresse, du sexe, du rire et des larmes, de l’amitié, le tout servi avec une sincérité désarmante de la part de la cinéaste qu’on voit presque en filigrane au travers d’Emmanuelle Bercot. Pour dire un mot de ce casting 4 étoiles d’ailleurs, soulignons qu’avec sa générosité, cette dernière mérite amplement le prix qu’elle a partagé avec Rooney Mara (pour Carol de Todd Haynes). Le reste du casting est à l’avenant, avec un Louis Garrel parfait dans le rôle du frère protecteur (Solal), un personnage qui apporte beaucoup de respiration au film, une facette de l’acteur que l’on ne connaissait pas, car oui, Louis Garrel sait être facétieux sans jamais que ça ne tourne au cabotinage. Avec également Isild le Besco qui incarne Babeth, la femme de Solal : elle est l’autre visage de l’amour : l’assurance de la femme amoureuse et aimée, la solidité par rapport à sa belle-sœur en miettes. Vincent Cassel, enfin. Majestueux dans le rôle de cet homme superficiel et intense à la fois. Il traverse le film avec un aplomb et une aisance que peu d’acteurs de sa génération possèdent. Avec tous ses petits camarades, ils démontrent si besoin est que de très bons acteurs contribuent à faire de bons films.


Suintant des mêmes fluides corporels que l’Adèle d’Abdellatif Kéchiche, souffrant de la même trahison, la Tony de Maïwenn ne démérite pas, et Maïwenn ne démérite pas. Ce film très organique fera encore longtemps écho auprès du spectateur, le regard d’Emmanuelle Bercot à la toute fin du film lui restera encore longtemps comme l’image d’un amour tant et tant dépeint par de nombreux cinéastes qui n’ont pas tous forcément réussi à lui imprimer leur empreinte.

Bea_Dls
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le 26 oct. 2015

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Bea Dls

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