Tout commence par un plan sur une chaîne de montagnes, et je sais pas pourquoi mais j'adore les plans de montagnes. Peut-être parce que dans la vraie vie j'ai le vertige et que du coup jamais je foutrai les pieds sur une montagne. Peut-être aussi parce que ça me rappelle que le cinéma peut me faire voir et vivre des trucs impossibles, trop grands ou trop beaux. Bref, Mon Roi commence sur un plan de montagnes et ça m'a ouvert les bronches. Puis Emmanuelle Bercot se plante à skis, comme toi, comme moi, comme nous tous et la caméra de Maïwenn, soudainement, se rapproche du visage de son actrice. Elle ne le quittera plus durant les deux heures que dure le film.


Le cinéma de Maïwenn, malheureusement, c'est absolument tout le cinéma français actuel. Car à un moment donné faudrait qu'on se passe le mot : ils filment tous pareil. La caméra au plus près de l'action, le plus souvent possible à l'épaule, une profondeur de champs que t'oserais même pas sur une photo macro et une focale serrée comme l'esprit (et le trou de balle) de Christine Boutin. Le premier plan du film m'a donné le vertige, tout le reste m'a rendu claustro. Et je parle même pas de cette manie moderne de faire bouger le cadre quoi qu'il s'y passe. Tu filmes un champs/contre-champs banal, où les personnages philosophent sur la forme des bananes ? FAIS MOI BOUGER CETTE PUTAIN DE CAMERA COMME SI ON FILMAIT UNE SCENE D'APOCALYPSE !!!! Pour la défense des cinéastes français et de Maïwenn, ce mal n'est pas français. Tel un vulgaire parasite, cette manie s'est propagée mondialement depuis peut-être Paul Greengrass qui fut le premier à mettre la Parkinson à la mode. Enfin, tout ça pour dire que visuellement Mon Roi manque de souffle, va chercher un réalisme, une authenticité qui me gonfle tant elle est commune.


Du coup vous allez me dire que j'ai mis 8 à ce film et que ça serait bien que je me mette un peu à ce truc qu'on appelle la "cohérence". Bon, déjà tu me donnes pas d'ordre et de deux, t'es pressé ? t'as un truc à faire ? Non ? Alors laisse moi développer deux secondes.


J'ai mis huit à ce film parce que je l'ai trouvé merveilleux. Et je l'ai trouvé merveilleux parce qu'il parle du truc le plus merveilleux au cinéma : l'amour. J'ai toujours pensé que, comme dans la vie, il n'y a que des films d'amour ou des films de guerre. Car ce sont les deux choses qui caractérisent le mieux l'humanité depuis la nuit des temps. On sait bien se mettre sur la gueule et on sait bien s'aimer. Du coup le cinéma parle du chaos et du coeur depuis toujours et savoir apporter son grain de sel dans cette grande salade est plutôt difficile. Maïwenn, avec ce film, y parvient brillamment.


Mon Roi est un film d'amour, certes, mais c'est surtout un film sur la lâcheté des hommes. Sur leur tendance à la fuite, sur leur incapacité à être responsables, sur le mal qu'ils font et qu'ils se font. Mais ce n'est pas un brûlot contre les gars, pas un pamphlet non plus. A ce titre celle qui peut diviser le plus c'est Tony, le personnage joué par Bercot. Pour peu que l'empathie ne se crée pas, on peut vite la trouver insupportable à toujours retourner vers ce grand naze de Georgio (sérieux, ce nom...), à se laisser maltraiter ainsi et cette exaspération-là peut nous sortir du film. Ce ne fut pas mon cas tant Tony m'a touché, tant j'ai pu comprendre ses faiblesses, tant j'ai pu accepter sans l'avoir vécu que l'amour mène à tout, pousse à tout et justifie tout.


L'histoire d'amour entre Georgio et Tony, je l'ai trouvée belle, je l'ai trouvée puissante. J'ai ri avec eux, j'ai aimé qu'ils s'aiment, j'ai souffert de leur déchirure, j'ai voulu qu'ils se retrouvent, puis qu'ils se quittent. J'ai senti le charme de Georgio, je lui en ai voulu d'être aussi con, j'aurais aimé lui casser la gueule en voyant les larmes qu'il a fait couler, je lui ai pardonné trop souvent. J'ai été en quelque-sorte un espion infiltré dans cette passion et c'est probablement la plus grande réussite de ce film qui, par sa réalisation étriquée aussi avouons-le, nous plonge entre deux êtres et fait de nous une sorte d'enfant du divorce filmique.


On mettra de côté la construction du film qui alterne entre l'histoire d'amour en elle-même et sa fin, quand Tony fait sa rééducation après s'être fait les croisés au ski. Pour le passionné de foot que je suis, ça m'a un peu fait rire de voir cette femme vivre ça comme Dante a vécu sa traversée des cercles de l'enfer, mais passons. Ces allers-retours ne mènent à rien, ne veulent rien dire, ne servent aucun propos et la bande de jeunes "issus de l'immigration" qui sont un peu voyous mais un peu gentils aussi sont à mettre au pinacle des plus gros clichés français avec tous les éléments de réalisation que j'ai listé plus haut. Quand le film commence avec la psy qui fait un parallèle entre la blessure au "genoux" de Tony et sa blessure au "je/nous" je me suis dit que la blague était franchement super marrante. Puis j'ai vu que Maïwenn l'avait prise très au sérieux et qu'elle allait poursuivre ce parallèle tout au long du film et là je me suis retenu de retourner vaquer à mes occupations. Mais, encore une fois, passons.


Passons encore parce que le film tient aussi sur ses acteurs, qui livrent tous une partition délirante de justesse. Qu'on se le dise, il y a encore des grands acteurs (et actrices) en France et à ce titre faudra penser à mettre Vincent Cassel à la proue de notre navire quand on ira parader sur les rives ricaines. Ce type est tellement fort que sa simple présence justifie le visionnage d'un film. Emmanuelle Bercot, que je connaissais moins, montre qu'elle a aussi un talent assez ample pour jouer à la fois l'amoureuse, la mère, la guerrière vengeresse et la femme rendue fragile par son coeur. On est toujours dans du jeu hyper naturaliste, attention, vous attendez pas à retrouver l'âme de Peter Sellers dans les environ. Mais dans le genre c'est peut-être ce qui se fait de mieux et on se dit en ayant en tête les autres films de Maïwenn que la direction d'acteurs est possiblement son plus grand talent. Les seconds rôles ne sont pas en reste avec un Louis Garrel qui fait du Louis Garrel, c'est à dire qui nous donne envie de lui gifler une joue et de lui caresser l'autre. Son personnage est d'ailleurs celui qui représente le plus le spectateur dans la valse de cet amour dysfonctionnel.


On passera enfin et pour conclure sur les petites bêtises routinières du film qui sont, elles aussi; très françaises. Par exemple j'en ai marre des films à Paris, j'en ai marre des personnages qui donnent l'impression de payer l'ISF même quand ils cuisent les frites à McDo, j'en ai marre des week-end à Deauville, j'en ai marre des couples qui appellent leur fils Simbad (véridique...) et j'en ai marre que le Sud soit filmé comme une brochure touristique.


Voilà, on en aura passé des choses à ce Roi, comme Tony aura passé bien des choses à Georgio. On aura passé bien des choses parce que ce film est beau. Qu'est-ce qu'on ferait pas, par amour...

Ruru_
8
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le 1 mars 2016

Critique lue 256 fois

Ruru_

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