Mon voisin Totoro
7.8
Mon voisin Totoro

Long-métrage d'animation de Hayao Miyazaki (1988)

"Nous pouvons montrer aux enfants à quel point la vie vaut la peine d'être vécue" disait Hayao Miyazaki à propos de son travail. C'est ce que tente de faire Totoro : l'éloge de l'enfance, l'injonction presque à y rester. Pas besoin de grand chose pour susciter l'émerveillement de l'enfance : une nature verdoyante, un jardin, une maison de campagne, quelques promenades et de jolis films. Miyazaki avait résumé cette injonction avec cette phrase de Mallarmé : "Le vent se lève. Il faut tenter de vivre", phrase qui donnera son dernier long métrage sorti en 2013. C'est dire si pour lui c'est tout un programme.


Miyazaki a des obsessions, comme tous les auteurs, et même dans Totoro, un de ses films les plus enfantins, il ne peut s’empêcher d’y glisser ses préoccupations. L’œuvre du réalisateur est extrêmement réminiscente. D’un film à l’autre, on trouve des échos : ici, la tuberculose pour la mère qui rappelle celle de Naoko dans Le vent se lève, au physique et à la voix très proches de cette dernière, le père aussi a un physique proche de Jiro, le héros du film avec ses lunettes, voire de Miyazaki lui-même. Leur petite fille Mei ressemble avec sa robe rouge et ses couettes à Chihiro. L'arbre où se terre Totoro, immense massif rappelle ceux d’un Château dans le ciel ou de Mononoké. On pourrait en citer de nombreux autres exemples.


Il y a aussi la thématique de l'onirisme, du rêve, qui infuse dans toute l'oeuvre du réalisateur : Chihiro rêve peut-être son odyssée, Jiro imagine des avions fabuleux qui ne seront qu'un rêve déçu, Sheeta songe à la cité perdue dont elle est originaire, Hauru, sorcier aux multiples pouvoirs, se perd dans des mondes fabuleux et oniriques... L'environnement également est un thème essentiel, et qu'on retrouve dans toutes les oeuvres du réalisateur.


Mais indiscutablement le film le plus proche de Totoro est Chihiro, avec cette thématique onirique et ce rêve qui débarque dans un quotidien ordinaire. D’ailleurs les deux fillettes, Satsuki et Mei, arrivent en véhicule dans leur nouveau terrain de jeu comme Chihiro. Je l'ai déjà dit, mais le rêve occupe une place prépondérante dans ces deux dessins-animés. On peut envisager que Chihiro rêve depuis le début, allongée à l'arrière de sa voiture. Il en est de même pour les deux petites filles de Totoro, qui s'endorment successivement avant les apparitions de leur mystérieux voisin. Mei, je l'ai souligné ressemble d'ailleurs terriblement à Chihiro plus jeune.


Le film, comme toujours, est d'une grande finesse. La relation entre les deux soeurs est subtile, si bien retranscrite : elles se disputent autant qu'elles sont inséparables. La douceur aussi de leur père et de leur mère éloignée par la tuberculose est touchante. Loin de refuser les rêveries et les fantasmes de leurs enfants, leurs parents les y encouragent, comme si eux aussi participaient au jeu. Des scènes sont touchantes : celle où le père oublie de se lever et où ses filles préparent le petit-déjeuner, celle où ils prennent un bain ensemble, celle où le père les emmène au pied de la montagne remercier l'esprit de la forêt. La grand mère et le jeune garçon qui vivent à côté de chez eux sont également des personnages habillement campés et toujours touchants.


Miyazaki comprend ce qu'est l'enfance, mieux que beaucoup de réalisateurs de dessin-animé. Il exprime en quelques minutes tout l'imaginaire foisonnant des petites filles. Mei joue dans le jardin, s'émerveille de tout, poursuit une créature, puis une autre, happée par les merveilles de la nature. Il donne une énorme expressivité à ses personnages. Satsuki, plus grande, est à la frontière entre les deux âges : capable de s'émerveiller comme sa petite soeur, mais aussi plus bavarde et plus intéressée par le monde adulte (elle va à l'école, elle appelle son père au travail). La découverte de la nouvelle maison où la famille déménage est jubilatoire : les deux fillettes, persuadées que la maison est hantée se font peur pour un rien et en même temps, elles croisent vraiment des créatures (les noiraudes notamment, ces boules de suie que l'on retrouve dans Chihiro, encore), et les Totoro, ces chats-ours sympathiques et mutiques. Leur père et la grand-mère ne s'étonnent des esprits qui hantent la maison, c'est presque naturel. La frontière entre la magie et le réel est très ténue, comme souvent dans l'univers japonais et plus encore chez Miyazaki, comme dans Chihiro d'ailleurs.Les parents voient de loin cette magie, sans vraiment y prêter attention. Ainsi, le père entend la flûte que Totoro utilise chaque nuit sans en être troublé le moins du monde.


Il se dégage de l'ensemble un onirisme et une tendresse toute enfantine, là où la plupart des oeuvres de Miyazaki sont inquiétantes. Les héros des autres films sont invités à grandir. Ici, on les encourage à rester des enfants, mêmes adultes. Ainsi, pas de monstres terrifiants, pas de menace sourde à l'horizon. Totoro est un génie de la forêt bienveillant qui aide toujours les fillettes si elles se montrent dignes de le rencontrer. C'est une immense boule de poil à demi-endormie assez pataude. La scène de l'arrêt de bus, qui m'a fait penser à celle de l'arrêt de train de Chihiro là encore, est superbe et l'une des plus connues du film. Il y a de la tendresse dans ce dessin-animé : un père aimant, une mère douce, des voisins serviables, il n'y a aucun mal. Les deux jeunes filles peuvent rêvasser dans leur immense jardin, au contact d'une nature que Miyazaki prend plaisir à dessiner dans le moindre détail. Le film est d'ailleurs d'une grande beauté visuelle.


Mais il y a tout de même une ombre : la tuberculose de la mère, contrainte de rester à l'hôpital et qui manque à ses deux filles. La fin du film laisse présager le pire, un télégramme indiquant que la mère, malade, ne pourra pas venir les rejoindre. Les deux filles se lancent alors dans une quête désespérée pour la retrouver. Mei se perd, tout le village la cherche, on craint la noyade. Le rêve pourrait basculer dans l'horreur. Mais il n'en est rien, Miyazaki évoque un simple rhume qui aura retardé leur mère : Totoro permet grâce à un Chat-Bus aux petites d'aller voir leur mère sans pour autant qu'elles n'apparaissent devant elle, comme si tout cela n'était qu'irréel. Tout finit bien mais ce n'était peut-être qu'un rêve dans lequel les deux petites filles se complaisaient pour ne pas admettre la réalité.


Avec Miyazaki, il existera toujours un trouble, une ambivalence, entre rêve et réalité, un flottement, un entre deux, ici il faut rester à tout prix dans l'innocence de l'enfance, presque jusqu'au déni, c'est la force immense de ses films à laquelle s'ajoutent une musique, et une beauté visuelle et formelle pleine de poésie et de douceur, un véritable éloge de la tendresse et de l'enfance. Restons de grands enfants.

Tom_Ab
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le 2 févr. 2020

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Tom_Ab

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