La veille de voir ce film j'ai regardé « Les contes de la lune vague après la pluie ». Un pur hasard amusant tant les deux films semblent proches, si proche de se répondre. Les deux films sont des contes moraux et les deux cinéastes se plaisent à faire parler la nature, à bien poser leur histoire sur le miroir du monde.

Si dans le Mizoguchi, les femmes sont une nouvelle fois victimes des hommes, chez Bergman, c'est l'inverse, un homme se laisse prendre dans les filets d'une amante pas religieuse, le temps d'un été, que rien ne pourrait effacer. Ce dernier point est un peu forcé pour être tout à fait honnête, car l'homme fait aussi preuve d'une certaine faiblesse qui explique sa position finale de victime. Quant à Monika, elle a peut-être aussi des raisons d'être aussi futile et puérile. Disons qu'il est facile d'avoir pitié par moment. Elle est beaucoup trop fragile et se laisse aisément aller. Une part autodestructrice qui peut soit lasser, soit émouvoir.

Mais au-delà de cette chute du couple, c'est toute la progression de l'histoire et la façon dont Bergman la conduit qui procure aux spectateurs un réel plaisir de cinéma. Je tempère aussitôt cette dernière expression : j'ai pris du plaisir, mais je n'ai pas adoré le film, alors qu'il m'arrive souvent de tomber amoureux des films de Bergman, notamment pour la richesse des relations entre les personnages, la complexité des caractères qu'il dessine ; outre la mise en scène, la mise en image et l'écriture incroyablement ciselées du maître suédois. Or, ici les personnages paraissent un peu trop simples.

La transition entre la première partie et la seconde est cohérente. Bien menée sur le plan du montage, de la construction narrative, le tempo y est maîtrisé. On suit la lente déchéance des liens amoureux, très lisible. Dans cette période pourtant, les personnages m'ont paru un peu moins esquissé. Est-ce le jeu des comédiens ou une question de direction de jeu ? Plus probablement est-ce juste un ressenti personnel dû à quelques raisons obscures et difficiles à concevoir avec netteté ?

Quoi qu'il en soit, je trouve ce couple moins fascinant qu'à l'accoutumée. Avec Bergman j'ai souvent l'impression d'apprendre quelque chose, de la vie, de l'humanité, de l'amour. À la fin de ce film, je n'ai pas eu ce sentiment.

Par contre, sur le plan visuel, j'en ai plein les mirettes! Excusez du peu : le Blu-ray Criterion déchire sa mémé, une merveille technique, un ravissement quasi continu ! Encore une fois, je suis subjugué par cette merveilleuse invention. Et dire qu'il y en a qui osent chouiner sur ce format !

Si je suis sur la retenue par rapport aux personnages, cela peut être aussi expliqué par la jeunesse des deux comédiens Harriet Anderson et Lars Ekborg. En tout cas, je n'ai pas été pleinement conquis par l'actrice principale. La dernière fois que je l'ai vue, c'était dans « A travers le miroir » où elle était très impressionnante, mais plus âgée et expérimentée. Ici elle joue très bien la garce. Son regard hautain, pas franchement face caméra, est d'une insolence incroyable : un des plans les plus marquants qui dit toute la violence du personnage à l'égard de notre propre jugement. « Oui, je suis une salope, je fais du mal à Harry mais sachez bien, braves gens, que je vous emmerde ! » Il n'en demeure pas moins que certains signes laissent à penser qu'elle sait son infortune, qu'elle en souffre.

Bergman ne s'appesantit pas là-dessus, mais bien plutôt sur ce que Harry (Lars Ekborg) subit. C'est aussi intéressant car il n'en fait pas de personnage amer au-delà du possible. Ce qui est très beau, ce sont ses souvenirs surtout érotiques mais également de paysages, de sérénité qui vont rester malgré tout ce qui s'est passé depuis. Cet ultime retour sur le passé et la conclusion logique et naturelle : on ne veut se rappeler que des bons moments. Avec le temps, avec le temps va, mais tout ne s'en va pas. Une poitrine offerte au soleil d'été, le reflet d'un nuage dans une flaque de mer, le bruit des vagues sur les rochers, c'était un été avec Monika.
Alligator
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le 30 oct. 2013

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Alligator

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