Love carried away by a moonlight shadow...

MOONLIGHT (Barry Jenkins, USA, 2017, 111min) :


Cette chronique identitaire percutante et sensible, retrace le destin et le parcours d’un enfant des quartiers de Miami jusqu’à l’âge adulte. Barry Jenkins, réalisateur révélé en 2008, à l’occasion de festivals indépendants avec Medicine for Melancholy (inédit en France) revient enthousiasmer la critique et le public lors d’une tournée de festivals en triomphant à de nombreuses reprises avec ce deuxième long métrage Moonlight notamment en obtenant le Golden Globe du Meilleur Film Dramatique avant la prochaine cérémonie des Oscars qui lui verront obtenir la statuette du Meilleur film, scénario adapté et meilleur second rôle (Mahershala Ali).


Pour sa seconde réalisation cinématographique ce natif de Miami (Floride) choisit d’adapter la pièce de théâtre In Moonlight Black Boys Look Blue de Tarell Alvin McCraney. Cette fresque sur plus de vingt se décline en trois chapitres distincts avec un titre par segment : « Little » traitant de l’enfance, « Chiron » l’adolescence et « Black » l’âge adulte pour décliner trois étapes clés dans la vie de cet afro-américain. Une structure narrative un peu simpliste pour accompagner cette odyssée intime mais dont la sincérité touche au cœur. Dès la première séquence d’introduction on découvre l’univers social. Par le biais d’une caméra portée tourbillonnante, s’approchant au plus près des personnages on comprend vite leur activité de dealers (malgré un langage codé), avant de faire connaissance au cœur de ce quartier délicat avec le jeune héros du film. Dès le début on sent l’enfant en décalage, avant de prendre la fuite. Le ton est donné ! Sans jamais tomber dans l’aspect documentaire mais en s’inspirant de sa propre enfance et du cinéma de Claire Denis notamment le magnifique Beau Travail (2000) le réalisateur va brosser un portrait de ces afro-américains rarement mis en lumière au cinéma. L’indépendance du projet permet par exemple une quasi non représentation de personnage blanc dans ce récit. Faire ce constat démontre l’écueil évident des fictions que l’on a l’habitude de voir, celles-ci ne reflétant jamais certaines réalités sociétales.


Le réalisateur avec finesse accompagne son jeune héros dans les différentes phases cruciales à son émancipation. Tout d’abord garçon presque mutique vivant sous le joug d’une mère addictive à la drogue et de la violence d’un camarade de classe se liant d’amitié ensuite avec un caïd du quartier. Un mentor représentant « le père » qui va le prendre sous son aile et littéralement dans ses bras pour une scène symbolique aux connotations mystiques. Un véritable baptême dans l’eau au sens laïc du terme, pour une première libération psychologique. Un rayon de lumière venu d’un dealer de drogue dans l’univers si gris de cet enfant prêt à plonger dans le grand bain. Tout au long du film un esprit spirituel se distille subtilement de façon humaine. Car si le dispositif narratif n’élude pas certaines ficelles et utilise des ellipses temporelles parfois trop abruptes l’intelligence du réalisateur se trouve dans la manière d’aborder de très nombreux thèmes. La mise en scène fluide accompagne par petites touches ce portrait en distillant, loin du pamphlet, une illustration de cette Amérique gangrénée par la violence, le crack, le racisme sans tomber dans les stéréotypes. Une épopée qui devient intime dans les rapports conflictuels avec sa mère et plus encore lorsque le réalisateur à la hardiesse de traiter d’homosexualité dans cet environnement familial et social douloureux où les soi-disant valeurs de « virilité » sont la norme. L’éveil d’une sexualité suggéré par un premier baiser échangé avec un camarade de classe, puis accentué de façon naturelle par l’abandon du corps et de l’âme sous une main aventureuse pour jouir de la vie sur une plage bercé par une lumière clair de lune presque irréelle. Toujours avec la même bienveillance Jenkins suit la trajectoire du héros en passant par la case prison pour un méfait, et par un dernier saut dans le temps, il suit les pas du jeune ado devenu adulte. Celui-ci sort de l’enfermement complètement transformé par une musculature lui conférant une impressionnante carapace, indubitable artifice pour cacher sa véritable identité intime face aux autres et tenter de se mentir à soit même. Dans cette dernière partie le réalisateur pousse les couleurs et l’onirisme encore plus loin et magnifie sa photographie. Il sublime ce dernier acte avec peu d’effets pour nous désarmer lors d’une scène de retrouvailles avec le camarade avec lequel il s’était abandonné. La séquence chavire au moment où une chanson évocatrice pour les deux hommes vient s’échapper d’un jukebox et fait tomber les masques à fleur de maux. Quand les pores frissonnent sous le sens du cadre splendide du cinéaste, Chiron ce petit enfant que la vie n’a pas ménagé, à l’homosexualité silencieuse, assume enfin pleinement sous ce corps athlétique, que ses sentiments pour les hommes vont dorénavant tracer son chemin. Une séquence poétique évoquant avec émotions un même élan romantique dans Happy Together (1997) du maître Wong Kar-wai, l’une des sources d’inspirations majeures de Barry Jenkins. Une œuvre qui peut nous renvoyer aussi au Boyhood (2014) de Richard Linklater dont on sent les nombreuses affinités. Un long métrage nourrit par une bande son agréable et adéquat. Pour incarner ses trois moments de vie, trois acteurs différents : Alex H. Hibbert interprète avec force l’enfant avec un regard profond, Ashton Sanders de façon convaincante l’adolescent et Trevante Rhodes incarne avec nuances l’âge adulte.


Le pertinent casting se complète avec les prestations brillantes de Mahershala Ali en dealer, « mentor » pour Chiron et l’impeccable André Holland dans le rôle de Kevin. Ce film s’avère important de par son contenu sociologique, politique, intime, une pierre salutaire déposée dans le jardin d’Hollywood où la représentation des noirs et de l’homosexualité dérangent toujours. En associant les deux avec réalisme et tendresse, le cinéaste aspire à une douce révolution. L’académie des Oscars un coup de main et apporte un symbole fort en attribuant une statuette dorée à ce film alors que la statue de la liberté vient de voir sous sa flamme l’arrivée d’un ultra conservateur en guise de président ! En tout cas cette œuvre inoubliable, ouvre la porte du paradis à ce cinéma si loin de l’enfer, car d’une humanité désarmante. Venez éclairer votre âme sous l’aura de Moonlight. Audacieux. Beau. Puissant. Émouvant.

seb2046
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le 24 janv. 2017

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