Moonlight n'est pas un film traitant de la difficulté d'assumer son homosexualité au sein de la communauté noire. Le sujet du film est plutôt la difficulté de savoir ce que nous sommes et la résonnance que peuvent avoir certains mots qui sembleraient de prime abord anodins. D'ailleurs, l'homosexualité du personnage principal n'est jamais clairement établie. Il s'agit plutôt d'un garçon, que nous allons suivre lors de trois étapes majeures de son développement, qui n'arrive pas à savoir qui il est réellement. La grande force du film est surtout de nous montrer l'impact des mots dans notre évolution et l'acceptation de ce que nous sommes. Que se soit une insulte prononcée par une mère en colère ou les mots doux et maladroits d'un père de substitution, leurs effets sont bien plus importants qu'on ne pourrait l'imaginer. Bien plus que face à son environnement, c'est face à lui même que se retrouve Chiron (le héros du film). Le cadre importe finalement assez peu, il aurait pu être transposé dans un quartier blanc huppé que le cheminement psychologique du personne n'aurait pas forcément été très différent...


Comme pour la pièce de théâtre à l'origine du projet, Barry Jenkins construit son film sous forme de chapitres. Nous suivons ainsi le destin de Chiron en tant qu'enfant trop petit, adolescent trop maigre et adulte trop musclé. Des traits physiques disparates qui représentent un être qui n'arrive pas à trouver sa propre identité. Un des coups de force est justement d'avoir réussi à faire transparaitre une émotion unique à trois acteurs aux âges et physiques totalement opposés. Si visuellement il nous est impossible de reconnaître le Chiron enfant dans le Chiron adulte, psychologiquement c'est l'inverse. Il suffit d'un regard, de quelques mots difficilement exprimés pour que l'enfant, l'ado et l'adulte ne forment qu'un tout cohérant. La performance d'acteur est bluffante! Les autres comédiens sont à l'avenant, et les nominations de Mahershala Ali et Naomie Harris comme meilleures seconds rôles aux Oscars ne sont pas volées! Le premier décroche enfin un grand rôle à la hauteur de son talent et la seconde est incroyable en mère perdue qui peut être aussi détestable que touchante.


Pour mettre en scène son sujet Jenkins ne fait pas dans l'esbroufe et préfère la simplicité à la démonstration technique. Quand il fait preuve d'audace c'est lors de l'utilisation de la caméra épaule ou lors de quelques scènes oniriques pas forcément très maitrisées. En l'état, Moonlight reste un film assez académique. En mettant en avant son sujet sans forcément insister sur le point vue du metteur en scène, il n'utilise pas les codes cinématographiques qui me touchent le plus. J'aurais personnellement souhaité que la richesse du sujet passe un peu plus par la réalisation. Il y a un côté parfois un peu trop terre à terre dans le film. Il explore des terrains poétiques ,comme lors de l'explication du titre du film ou dans le symbolisme de la mer, mais ces scènes sont soit trop nombreuses ou trop rares. J'aurais tendance à dire qu'au final elles nuisent un peu à la cohérence du récit et à son équilibre.


Nous sommes cependant ici dans critiques assez personnelles qui tiennent plus à mes appréciations de mise en scène que 'd'un point de vue objectif. Et elles n'empêchent en rien Moonlight d'être un très bon film qui aborde son sujet de façon assez original. Puisant sa force dans deux des outils majeurs de l'art cinématographique (l'écriture et la direction d'acteur), il arrive à nous transmettre cette douleur que l'on peut ressentir quand on ne sait pas qui on est. Cette quête d'identité (plus que de sexualité) est également un très belle histoire d'amour. S'étalant sur 20 ans et vue au travers du regard d'un enfant, d'un ado et d'un adulte, elle nous prouve que, quelque soit notre âge, notre désarmement reste le même par rapport à ce maître sentiment.


En deux mots:
Moonlight aborde un sujet très fort et fait preuve d'originalité en parlant plus de quête d'identité que réellement d'homosexualité. Même s'il est parfois peu trop académique, il est porté par une écriture très fine et des acteurs impressionnants. Rien que pour la performance de ces derniers le film mérite que vous vous déplaciez en salle. D'autant plus qu'il vous fera certainement réfléchir sur l'impact des mots dans le développement psychologique d'un individu.


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Laubergiste
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le 2 févr. 2017

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