Le virilisme et l'Homme dévasté.

La Floride est une terre de soleil, et pourtant quand vient le soir, la lune caresse de ses rayons bleutés le corps des enfants qui jouent autour de la baie, colorant leur peau noire, faisant naître autour d'eux un halo de couleur bleue. Ces mots, issus de la bouche d'une grand-mère à destination de son petit-fils, prennent au fur et à mesure qu'avance le film une pesanteur poétique. La Floride est un Etat qui comporte une importante communauté et culture noire, qui, et cela est classique dans une société protestante multi-culturelle, vit dans un ghetto : entre eux et pour eux. Le film raconte brillamment l'histoire d'un jeune garçon noir à la mère toxicomane et prostituée qui sent peu à peu grandir en lui son désir pour les autres garçons, et qui, alternativement, trouve du réconfort chez des amis (un dealer et sa femme), et de la haine chez ses congénères. Le film est divisé en trois chapitres : tous prenant l'un des noms du protagoniste, et racontant dans l'ordre son enfance, son adolescence et son âge adulte. Le jeune garçon doit subir, outre le poids fragile et précaire de sa famille, cette question existentielle et profonde : doit-il rester lui-même ou singer une virilité qui ne lui sied pas ? Le film raconte ce long et douloureux périple d'un être fragile dans cette communauté de violence symbolique et réelle.


Le film s'ouvre sur ce petit garçon perdu et harcelé, poursuivi par ses camarades par des doux sons tels que "tapette", et ne pouvant compter sur l'autorité fantomatique de sa mère. Le jeune enfant se noue avec un dealer qui le recueillera tel un père spirituel, le baptisera dans l'océan et le formera. Il lui conseillera d'être lui-même et de ne jamais se faire dicter sa conduite par quiconque. Il est tolérant malgré son métier qui l'amène même à fournir de la drogue à la mère de l'enfant, menant à une situation de grande tristesse. Cette partie du film se caractérise par cet amour entre ces deux personnages, entre cette figure tutélaire paternelle et ce petit garçon triste, comme brisé de l'intérieur, comme s'il couvait un monstre en lui. Le deuxième chapitre est plus didactique, il nous montre ce jeune garçon qui, toujours moqué, tombe amoureux fou d'un de ses amis, un hypocrite masquant son homosexualité derrière de faux airs virils, et qui d'ailleurs le tabassera sous la pression des autres. Le jeune adolescent se rebellera alors d'une manière très violente, se trahissant lui-même, ainsi que son avenir. Le troisième chapitre clôt cette évolution en offrant au spectateur un homme devenu trafiquant, d'une virilité extrême, qui retrouve son ancien amant, et qui donne à voir une scène finale glaçante, profonde et émouvante. Très honnêtement, le jeu des acteurs est tout à fait exceptionnel et il est légitime d'ailleurs de s'interroger sur un casting exclusivement "noir". De plus en plus, des critiques y vont de leur petit commentaire acerbe, alors qu'il est impossible de ne pas tomber d'accord sur l'idée que tous les acteurs sont bons, et que leur choix est tout à fait logique compte tenu du milieu dans laquelle l'histoire se déroule. Mahersha Ali, Janelle Monae ou encore Ashton Sanders sont réellement extraordinaires. Le mixte entre les thèmes de l'homosexualité et de la condition noire amènent toujours les doutes et les commentaires de ceux qui ne veulent pas se donner l'empathie d'examiner ces sujets, car au fond, peut-être cela les dégoûte-t-il. La manière de filmer est tout à fait centrée sur les visages, qui évoluent, qui changent et notamment sur le regard. Certaines scènes prennent alors une tension dramatique dont il est impossible de ne pas être sensible, et les dialogues sont très bien travaillés. La relation entre le fils et sa mère, puis entre le garçon et son ami, sont poussées à un très haut niveau cinématographique.


La question du film, philosophique et sociétale, reste et demeure celle du virilisme. Il est facile de le voir. Les injonctions sociales font leur effet et le spectateur voit au long des trois chapitres le corps et l'attitude du personnage principal changer. Il passe du garçon sensible, gentil, malingre et timide au dude dealer musclé avec des dents en or. Au-delà de la question de la communauté noire, il est facile de constater que dans certaines cultures plus ou moins archaïques, la question de l'homosexualité semble jouer sur la corde sensible du rôle de l'homme et de sa vision par les siens. A la fois garant de la stabilité paternelle de la famille, et en même temps modèle, continuum nécessaire pour la permanence des traditions et de la race, l'idée qu'il puisse s'abaisser à des pratiques homosexuelles semble insupportable et décadente. Pire encore, il ne serait qu'une tentative de singer les pratiques occidentales et libérales, une méthode de colonisation ou encore une volonté de déviriliser les sous-cultures présentes dans nos pays. Ces personnes nient le caractère inné et immuable de ce désir et de cet amour envers les personnes de même sexe, la rabaissant à la déviance occidentale, à la maladie ou au désordre psychologique, alors même qu'aucun scientifique n'a pu prouver qu'il en s'agissait. Ce virilisme est une idée à la mode, naissant à l'est (Poutine), au sud (les Islamistes) et de l'Ouest (Etats-Unis), nous encerclant et ce film nous montre les profonds désordres d'une telle prohibition de l'homosexualité. Loin de permettre la protection des structures traditionnelles, en réalité, elle les affaiblit. Si le jour, les hommes doivent être virils et combattants, alors le soir, quand la lune laisse couler ses rayons bleutés, dans la clandestinité et la honte des chambres de motels, des hommes s'empêchent de s'aimer, tout en s'aimant, sous l'auspice du clair de lune.

PaulStaes
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le 3 mai 2018

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Paul Staes

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