Pour ce troisième épisode très attendu par au moins... Trois personnes (et encore), on reste sur du Wes Anderson. Pourquoi?
Parce que le truculent, fantasque et néanmoins sympathique real_folk_blues, a gratifié le premier épisode de RMM du commentaire suivant:

"Je n'ai que deux mots à dire : MOONRISE et KINGDOM. Et je rajouterai juste : FISSA. "

Cette suggestion impérative a germé en moi jusqu'à devenir une évidence. Et puis, j'aime faire plaisir. Et puis, real est un de mes éclaireurs préférés. Mais tout ça, on s'en contrefout.

Chère lectrice, cher lecteur, je vous préviens, ça va être long. Parce que pour une fois, je vais vraiment parler du film (si, si! Tout arrive).

Ce soir, j'ai envie de deux choses: revoir Moonrise Kingdom, et séduire Cindy, appelée ainsi afin de préserver son anonymat. Je trouve que ça correspond bien à cette fille creuse et superficielle (Chère lectrice, si tu t'appelles Cindy, sache que ça arrive à des gens très bien. J'use d'un humour de bas étage exploitant les stéréotypes).

Je décide donc de l'inviter à regarder le film avec moi, histoire de combiner mes deux envies. Cindy n'a pour moi aucun attrait, sinon celui de m'attirer. Je l'appelle. Elle sait très bien pourquoi je l'invite, mais elle doit être désespérée, ou alors elle n'a rien de mieux à faire. BREF.

Comme dans le film, je fais soigneusement l'inventaire de tout ce qui est nécessaire au bon déroulement de la soirée:
-Un salon propre.
-Un canapé confortable.
-Des blinies au saumon fumé et des biscuits apéritifs.
-Le vin blanc de la maison.
-Une télé HD.
-Moonrise Kingdom, un film romantique de Wes Anderson, en blu-ray.
-Une boîte de préservatifs de qualité.

Elle arrive. Je n'aime pas ses habits, ni son maquillage, et sa voix m'irrite un peux. On s'installe.

"Tu veux du vin? Propose-t-il. C'est celui du domaine.
-Non, merci, dit-elle. J'aime pas trop le vin, ça fait alcool de vieux. T'as pas du coca?"

Ça commence bien.

Je lance le film (oui, je sais, c'est pas trop tôt).

Ready.. Steady... GO! Vous lisez maintenant mes pensées.

L'erreur avec Wes Anderson, serait de dire: "je vais voir un film". C'est vrai, mais c'est un peu plus que ça. Regarder un Anderson, c'est comme aller au théâtre. Dans le cas du Grand Budapest Hotel, on peut même avoir la sensation de lire une BD, avec tous ces travellings délibérés qui donnent l'impression de passer d'une case à l'autre. C'est comme lire un livre, avec cette narration omnisciente si particulière, et ces voix off qui s'incrustent dans les conversations des personnages.

En pensant cela, je réalise mon erreur. Pourquoi montrer ce film à Cindy? Suis-je un infâme prétentieux, pour penser qu'elle est trop conventionnelle pour l'apprécier? Ou juste lucide?

Qu'à cela ne tienne, le film continue. Je regarde le décolleté de mon invitée, qui frôle l'indécence. Elle remarque que mes yeux ont déviés de l'écran, et semble réjouie de mon observation de ses généreux attributs.

Euh... J'avais dit que je parlerais du film. Wes Anderson est selon moi un grand cinéaste, pour la simple raison qu' il transmet des émotions tout en construisant un univers. À mon sens, il existe principalement deux manières de réaliser un film: tendre vers le pur réalisme et reproduire aussi fidèlement que possible la vie, ou alors s'affirmer dans l'expression artistique plus ou moins abstraite.
Si j'apprécie les deux exercices, je suis plus ému par les films qui offrent une autre réalité. Les films se voulant réalistes ne le sont presque jamais et en conséquence se trahissent; ceux qui font un sans faute sont rares et ne font que confirmer cette généralité.
Dans l'ensemble, le cinéma de Wes Anderson est théâtral et maniéré. C'est bien pour cela qu'il n'est pas grand public. Il faut aimer. Et j'aime, oh, comme j'aime! J'aime quand je sais que je peux acheter un film que je n'ai même pas vu les yeux fermés, parce que je sais que son réalisateur ne me décevra pas. J'aime quand un film ne cherche pas à être réaliste, mais donne la sensation de vrai. N'est-ce pas le plus formidable des exploits?

Sacré Edward Norton! Rire (Cindy ne rit pas)

Je ne sais pas à quoi pense Cindy, mais elle a sorti son Iphone. ELLE A SORTI SON IPHONE. J'enrage. Comment peut-on être irrespectueux à ce point? C'est du Wes Anderson que je t'offre, et tu rives tes yeux surchargés de fard dégueulasse sur ton petit écran, incapable de te contenter de visionner un film? C'est ça, ma génération? Des abrutis incapables de décrocher de leurs smartphones?

J'ai déjà dit antérieurement que j'étais épaté par la faculté qu'a Anderson d'optimiser ses acteurs. Mais la performance de Bruce Willis dans ce film m'impose particulièrement le respect. J'apprécie cet acteur dans ses classiques, mais on le découvre ici sous un autre facette, sensible et délicat, il libère un regard complexe. Méconnaissable et consternant.

Rire (Cindy ne rit pas).

En pensant cela, je réalise que nos doigts se sont croisés et que son pouce caresse doucement le dos de ma main. Ça commence à devenir intéressant.

Wes Anderson est un cinéaste hors du temps, mais Moonrise Kingdom, plus que ses autres, détient ce cachet qu'ont les vieux films, comme s'il était déjà un grand classique. Cela n'altère en rien la modernité qu'il insuffle dans chaque scène. Il jouit donc d'un double statut: le charme des vieux films qu'on croyait perdu allié à l'excentricité de notre début de siècle.

Elle s'est rapprochée et à posé sa tête sur mon épaule. Nos mains jointes et un peu moites reposent sur sa cuisse. Emballé, c'est pesé : ce soir, mon petit Veather, tu ne vas pas beaucoup dormir.

Le personnage d' Edward Norton suit sa routine au campement scout et réalise en s'asseyant à table qu'il n'y a personne. Humour décalé et subtil, si propre à Anderson.

Rire (Cindy ne rit pas).

Mais passons outre mes élucubrations dithyrambiques. Monnrise Kingdom est avant tout une histoire d'amour. L'amour, représenté dans sa forme la plus pure. Deux enfants qui, envers et contre tous, savent qu'ils veulent être ensemble. Deux enfants inadaptés à leur milieu -qui pourtant les a construits- mais qui trouvent l'un en l'autre une complicité délicieuse.
Même s'il est acquis que l'amour défie tout logique et en conséquent nous humanise, ce film nous le rappelle... Ah, attendez! Ça y est! Les fameuses scènes du campement sur la plage!

De ce couple d'enfant exagérément sérieux, se dégage une extraordinaire sincérité...

Ils dansent. Sûrement mon passage préféré du film. Je radote, mais tout est très théâtral et pourtant, ça m'émeut profondément. Je suis ailleurs. Je...

Alors que je divaguais dans mon amour éperdu pour ce film, j'avais à peine réalisé que Cindy se blottissait contre moi, de manière de plus en plus explicite, pour ne pas dire libidineuse. En voilà une qui s'en fout pas mal de Wes Anderson.

"Je vais aux toilettes" Me dit-elle. Je lui propose de mettre le film en pause, ce à quoi elle me rétorque: "non non, t'inquiète, de toute façon c'est lent, je comprendrais pareil"

Mais que fait cette fille chez moi? Non Cindy, ce n'est pas parce que c'est rythmé d'une autre manière que les comédies américaines que tu regardes avec tes amies que c'est "lent". Chaque scène, chaque plan, sert le film, qu'on se doit d'apprécier dans sa totalité pour en saisir la beauté.

Interlude :

Pendant ce temps, dans le cerveau de Veather:

Ego: "Vous avez vu comme cette fille nous désire? N'est-ce pas formidable?
Libido: OH OUI! C'EST SUPER! ON CONTINUE COMME ÇA, LES AMIS!
Plaisir : Je suis bien d'accord.
Conscience: Ah, ça y est, il va encore nous saouler, lui. Non mais sérieux, elle est pas
pour nous, celle-là!
Raison: J'avoue que depuis le début, je la sens mal.
Plaisir: Avec vous, c'est toujours pareil. On est jeunes, faut profiter!
Enthousiasme: Ça, c'est bien vrai!
Pessimisme: Si c'est vraiment avec elle qu'on veut passer la nuit, c'est que nous avons une basse estime de nous même.
Praticité: Dites, on à le rapport des techniciens, en bas ? Le cœur, l'estomac, le pénis, tout va bien?
Logique: Le cœur n'est pas emballé, le pénis est hésitant et l'estomac est dénoué. En même temps, on se fout autant d'elle qu'elle se fout de nous. C'est toujours pareil: c'est facile de brancher une fille sans intérêt, mais quand y' en a une bien, y' a plus personne ! »

Fin de l'interlude.

"Me revoilà!" Dit Cindy, nature peinture. Elle calcule grossièrement sa démarche pour mettre en avant ses atouts féminins, et s’assoit contre moi. Quel manque de classe et de naturel... Tout ce que je déteste.

Ce deuxième visionnage de Moonrise Kingdom s'avère encore plus jubilatoire que le premier. Je me régale.

Voici venu le fameux moment de la chapelle. Le point culminant.

Rire (Cindy ne rit toujours pas).

Puis, peu à peu, le film me dit au revoir, confiant; il sait qu'un jour je le ressortirai et le reverrai. Générique.

"Alors, t'en à pensé quoi? Demande-t-il.
-C'est pas mal... Dit-elle.
-Tu peux être honnête, tu sais!

Coupure suspens:

Pendant ce temps, dans le cerveau de Veather:

Libido: « Raaaah, mais! Pourquoi il la bassine avec son film? C'est pas comme ça qu'il va conclure! Quel crétin!
Raison: Attendez, c'est pas normal, il devrait être en train de l'embrasser, là!
Logique: Je suis défiée.
Bêtise: Pourquoi il ne l'embrasse pas?
Conscience: Mais... Je rêve ou il m'a écoutée! Il est sérieux? IL M'A ENTENDUE! C'est tellement rare! (elle en pleure de joie)
Plaisir: Eh, Oh, attendez! On ne va quand même pas...
Raison (qui reprend du poil de la bête): Oh, si! On dirait bien qu'il va le faire! »

Fin de la coupure suspens.

-Honnêtement? J'ai trouvé ça chiant. Dit Cindy.
-C'est un de mes films préférés. Rétorque Veather.
-Tu lui trouves quoi?
-C'est un portrait d'innocence, une évadée poétique, mais ce n'est pas léger: cette œuvre contient beaucoup de violence, morale et physique. L'esthétique est sublime, les acteurs au sommet de leur art, Bruce Willis exceptionnel. Et que dire des enfants prodigues qui sont le centre de l'histoire... C'est tellement délicat dans la réalisation, minutieux aussi ! Et puis, c'est drôle ! Un chef-d’œuvre !
-Euh... Ouais, si tu veux..." Dit-elle dubitative.

Elle se penche pour m'embrasser, lèvres entrouvertes. De toute façon, c'est dans ce but que je l'ai invitée, et c'est pour la même raison qu'elle a accepté.

Et c'est là que je réalise à quel point je n'ai pas envie de coucher avec Cindy. Ça ne me fera pas me sentir mieux, je n'ai rien à prouver, et je veux rester moi-même.

"Tu sais quoi? On va en rester-là. Dit-il, repoussant ses avances.
-C'est à dire?
-On n'a rien à voir, toi et moi. Il faut vraiment qu'on soit désespérés pour vouloir coucher ensemble.
-Attends, me dis pas que tu n'as plus envie de moi à cause de ce film ?
-Non, je n'ai plus envie de toi grâce à ce que ce film vient de me faire réaliser. Sérieusement, qu'est-ce que tu me trouves? Si on baise, qu'est-ce qu'on va en tirer ? J'ai besoin d'affection, pas de viande. Je suis trop sensible pour les coups d'un soir, si on le fait, je vais encore me sentir mal...
-...
-Rentre chez toi, ça vaudra mieux pour nous deux.
-Mais t'es vraiment un odieux connard! Moi qui croyais... Pauvre mec!
-Ne sois pas vexée, c'est de ma faute. Mais tu sais quoi ? Au moins, tu n'iras pas raconter à tes amies que je suis un mauvais coup, quand vous médirez bassement des mecs sur lesquels vous aurez sauté sans savoir pourquoi.
-Va te faire foutre! Dit-elle en le giflant.
-Ta gifle ne me fait rien, c'est la vérité qui fait mal. Au revoir, Cindy."

Elle part en claquant la porte.

Et voilà. Je me retrouve seul sur mon canapé. J'ai déjà oublié Cindy, ou quel que soit son vrai nom. Je préfère baigner dans le doux émerveillement que Moonrise Kingdom laisse en moi.
Ce soir, j'ai cessé d'agir en jeune décérébré, et je n'ai pas voulu de cette fille, lui préférant un film beaucoup plus beau et sincère qu'elle ne le sera jamais à mes yeux. Je crois que je sais pourquoi j'aime tant le cinéma de Wes Anderson.

Ce soir, j'ai grandi.

N'hésitez pas à m'insulter dans les commentaires, pour avoir écrit cette critique aussi interminable qu'exaspérante, pour avoir abusé de l'auto fiction, parce que vous vous appelez Cindy, ou même pour le simple plaisir de m'insulter. Ça défoule.

Je vous aime, innocent, d'un amour d'enfant.

http://www.senscritique.com/liste/Read_My_Mind/599485

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le 21 sept. 2014

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Veather

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