Moonrise Kingdom par Gérard Rocher La Fête de l'Art

On a beau vivre sur une île belle et sauvage de la Nouvelle-Angleterre malgré cela Suzy, une jeune ado, s'ennuie ferme dans sa demeure. Entourée de ses trois petits frères et de parents en état de discorde, elle passe son temps avec sa paire de jumelles à scruter l'horizon pour assister notamment aux rapports "très amicaux" de sa mère Laura et Sharp, le chef de la police. Suzy également a un amoureux avec lequel elle correspond régulièrement, Sam. Ce jeune garçon orphelin est scout dans un camp éloigné dirigé de main de fer par Ward, un prof de math. Celui-ci constate un beau matin que Sam manque à l'appel. Coïncidence, Suzy a également disparu de la maison. Ward n'a plus qu'une possibilité, celle d'organiser avec les jeunes scouts une traque pour retrouver au plus vite les deux fugueurs...


Nous voici donc dans ces années sixties, cette période durant laquelle la jeunesse a commencé à s'émanciper, à s'ouvrir sur la musique "yéyé", à s'exprimer sur des sujets jusqu'ici jugés tabous. Ce sont aussi les soirées avec les flirts et les promesses d'amours éternels qui font si mal lorsqu'elles s'éteignent. Nous sommes à l'époque du "choc des cultures" et dans cette île éloignée de tout, celui-ci malgré tout se fait bien sentir. La société ne fait pas la moindre grâce à celles et ceux que l'on considère comme "différents". C'est le cas de Sam qui dans son camp de scout est devenu la bête noire. Il est orphelin aussi paie t-il un lourd tribut à cette malheureuse situation. Suzy est une ado dans le giron d'une famille stricte et rétrograde ne supportant pas la moindre incartade des enfants mais dont la mère se permet certaines "escapades". On retrouve un thème criant de vérité: plus vous êtes dans le malheur, plus on vous égratigne. Sam est bien placé pour s'en rendre compte et le subir. Sa fuite avec sa petite Suzy, alors qu'une redoutable tempête va se déchaîner, est pour eux le début de la liberté, le début d'une maturité qui va s'instaurer pour leur permettre de faire face, à leur manière, aux institutions rétrogrades, rigides et parfois perverses de certains adultes.
Quoi de plus bucolique qu'une petite crique et son endroit boisé pour avoir une attitude d'adultes alors que l'on est encore que des enfants qui en toute innocence s'aiment éperdument "à la vie, à la mort". Mais que de barrages vont s'élever contre cette pureté d' âmes! Certains feront acte de contrition, d'autres resteront inflexibles dans leur manière d'appréhender le droit à la différence. L'étroitesse d'esprit de certains et la nature déchaînée se ligueront. A savoir si ces éléments suffiront à entraver la tendresse et la liberté...


Je dois avouer que cette œuvre de Wes Anderson m'a sidéré. En effet celle-ci est d'une grande efficacité dans son propos, d'une originalité sans pareille dans sa structure. De plus elle nous offre des paysages splendides et une mise en scène aussi surprenante que grandiose. La concession n'existe pas ici, le réalisateur est sans pitié vis à vis de ceux qui veulent détruire cette relation amoureuse. Sam est orphelin, il est mal vu de tous les scouts de son groupe, on lui met une image de sale gosse. Seul le placement en milieu "spécialisé" et les électrochocs préconisés par la responsable de l'action sociale, qui n'en a que le nom, seront aptes à changer cet "être dangereux"! Des scènes d'anthologie parsèment ce film: les éléments qui se déchaînent renversant et engloutissant tout sur leur passage ou ce moment drôle et tendre de ce petit couple qui s'éveille au désir sensuel maladroitement à l'abri d'une crique, sous le charme d'un 45 tours de Françoise Hardy "Le Temps de l'amour".
Tout est surprenant aussi drôle que dramatique, aussi dur que tendre et la mise en scène ne manque pas de surprendre par son originalité. De plus Suzy, la petite lolita, est adorable et superbement interprétée par Kara Hayward tandis que Jarid Gilman nous livre un superbe Sam, le scout plus débrouillard dans l'art de la fugue qu'en amour. Son chef scout très strict et "assommé" par les événements est incarné par Edward Norton alors que Bruce Willis dans la peau du chef de la police locale est remarquable. Quant aux parents de Suzy, Bill Murray et Frances McDormand, ils forment un couple dans la discorde la plus complète. L'excellente Tilda Swinton représente "l'Action Sociale" dans toute sa rigueur et son ridicule.


Un seul conseil, il ne faut pas louper le départ de cette aventure car Wes Anderson arrive à nous enchanter avec cette œuvre d'une folle originalité et pleine d'imagination, d'où ma note de 9 qui n'est franchement pas usurpée.

Grard-Rocher
9
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le 18 août 2015

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